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Marie-Céline de la Présentation
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22 juillet 2020

Fleur du Cloître - 5

Fleur du Cloître

 

Chapitre Cinquième

Charité de la mère, héroïsme de la fille

Germaine s’offre en victime

 

« Une famille vraiment chrétienne, chrétienne non seulement par l'observance de quelques pratiques, mais par l'accomplissement généreux de tous les préceptes, fait rayonner parfois sur un village entier une influence salutaire ». (Petit messager du Cœur de Marie, août 1897).

 

Les amis de la famille Castang ont toujours été unanimes à dire que Germaine était au moral le vivant portrait de sa mère : même rectitude de jugement, même tact, même caractère et surtout même cœur, même charité... Parler des vertus de Mme Castang, c'est parler de celles de sa fille chérie, c'est dire à quelles sources l'enfant puisa des exemples qui ne s'effacèrent jamais de sa mémoire. Quelques jours avant sa mort, sœur Céline nous raconta un trait admirable du dévouement de sa mère. Nous nous reprocherions de ne pas le citer ici.

« Il me semble, nous dit notre chère Céline, que le bon Dieu a dû récompenser ma chère maman d'un acte héroïque dont je fus témoin »... et elle nous raconta le fait suivant : Non loin de l'habitation de ses parents demeurait une famille, d'abord amie de la sienne, mais « pour des raisons que j'ai oubliées », dit Céline, les relations avaient cessé entre les deux famille ; on ne se voyait pas... on ne se parlait plus… Or, un jour, Mme N. mit au monde un enfant qu'elle ne put allaiter elle-même ; on essaya alors de nourrir le bébé au biberon. Cela réussit très mal et, au bout de deux mois, le nouveau-né dépérissait à vue d'œil. Un mal affreux lui couvrit le visage et l'aspect de cette pauvre petite créature inspirait autant de pitié que de dégoût. Le médecin déclara qu'il n'y avait qu'un moyen à tenter pour arracher l'enfant à une mort certaine, c'était de lui donner une bonne nourrice... mais où la trouver dans le hameau ? (1) La pauvre mère pensa à Mme Castang ; elle réunissait toutes les qualités voulues pour rendre la vie à ce pauvre petit être… mais voudra-t-elle sevrer son propre enfant qu'elle nourrissait alors, pour prendre celui d'une famille étrangère ?... Et sur quoi s'appuyer pour demander un tel service ? On ne pouvait alléguer l'amitié : la brouille lui avait succédé et avait élevé comme un mur de séparation entre les deux familles... Mais y-a-t-il des obstacles pour une mère qui veut sauver la vie de son enfant ?…

Mme N. prit le sien dans ses bras et arriva, humblement suppliante, chez sa voisine... Germaine était présente... elle vit cette femme entrer au logis de ses parents avec ce pauvre bébé « au visage couvert de croûtes horribles »... elle dut frémir lorsqu'elle entendit parler de substituer un tel nourrisson au beau baby blanc et rose qu'elle appelait son cher petit frère... Mme Castang elle-même dut tressaillir devant l'acte d'héroïsme qui s'offrait à elle…

Elle regarda l'enfant malade avec une immense compassion ; et voyant sans doute l'image de l'Homme des douleurs « semblable à un lépreux » (2) sous les traits du pauvre petit souffrant couvert d'un mal horrible, elle ne refusa pas de lui ouvrir ses bras et de lui offrir son sein... elle sèvrera un peu plus tôt son bel enfant à elle et celui de sa pauvre voisine reviendra à la vie... Voilà ce que se dit la vaillante chrétienne : c'était plus que le verre d'eau offert au nom du Christ, c'était le lait de son sein, douce figure de la suavité chrétienne, qu'elle donnait au nom de la divine charité…

Cependant, il fallait l'autorisation de M. Castang pour accepter et garder dans de telles conditions l'enfant de l'étrangère…

Germaine, qui, retirée à l'écart, surveillait tout de son intelligent regard, vit sa mère passer dans la pièce voisine et s'entretenir quelques instants avec son père.

Au bout de quelques minutes, elle revint vers la pauvre femme anxieuse qui pleurait en silence. Elle prit son enfant, et, sans rien faire paraître du dégoût qu'elle devait éprouver, sans trahir la violence qu'elle avait à se faire, elle annonça à la voisine qu'elle se chargeait de nourrir son enfant et de le soigner comme son propre fils. Effectivement, le baby fut si bien soigné, nourri et dorloté qu'il devint superbe... Mais qui dira le dévouement et les soins que la charitable nourrice prodigua à ce petit nourrisson ?... Qui racontera ses merveilles de patience près de cet enfant malade, dont le seul aspect aurait rebuté toute autre femme moins héroïquement charitable et dévouée ?... Elle ne s'était point souvenue de la brouille qui avait désuni les deux familles, mais elle avait pensé à aimer le cher prochain comme elle-même pour l'amour de Dieu !

De tels faits se passent de commentaires ! Rappelons seulement que « nous sommes sûrs d'être prédestinés au Ciel, si nous pratiquons de tout notre cœur la miséricorde envers le prochain » (3).

La bonté, la générosité, la reconnaissance étaient des fleurs épanouies en toute saison au foyer des Castang. « Mon père et ma mère étaient très bons pour tout le monde, disait Germaine, et ils se privaient parfois de bien des choses, et de choses même nécessaires, afin d'en faire don à des personnes auxquelles ils devaient quelque reconnaissance ». Leur bonté charmante s'étendait jusqu'aux petits oiseaux. Un carreau manquant à une fenêtre de la maison, les hirondelles en profitèrent pour s'accorder droit d'entrée dans le paisible logis ; elles construisirent leur plus beau nid au milieu de l'appartement inhabité qu'éclairait la fenêtre au carreau cassé. S'en étant aperçus, M. et Mme Castang ne chassèrent point les aimables intruses, et, pour mieux leur accorder, sinon droit de cité, du moins droit de nichée, les braves propriétaires renoncèrent à faire remplacer le carreau cassé... Chaque printemps nouveau ramenait les charmantes hirondelles ; les enfants saluaient leur arrivée de leurs cris de joie et auraient presque pleuré à leur départ... Comme pour reconnaître la gracieuse hospitalité qui leur était offerte, les hirondelles faisaient entendre par toute la maison leur délicieux ramage et à ce gazouillis d'oiseaux répondait tout un gazouillement d'enfants…

Tout semblait joie et bonheur dans l'avenir réservé à cette sainte famille... Hélas ! elle touchait à l'heure de cruelles épreuves... Que chantaient donc les petites hirondelles sous les toits de leurs hôtes ? Ne les dit-on pas messagères de la paix et du bonheur ?... Mais cessons d'écouter leur ramage aux fantaisistes légendes, écoutons plutôt Fénelon : « La paix de l'âme, dit-il, consiste dans une entière résignation à la volonté de Dieu ! » et, bien avant lui, saint Jérôme avait dit : « Rien ne doit paraître ni dur ni long quand on travaille à gagner le Ciel ».

Nous entrons maintenant dans une nouvelle phase de la vie de Germaine. Elle n'a pas dix ans et déjà elle pleure près des croix nombreuses que Dieu plante au milieu des siens. Pendant plusieurs années, la fillette assistera au martyre de ceux qu'elle aime... elle connaîtra des heures de mortelle angoisse et elle recevra le contre-coup de toutes les peines qui atteindront ses parents bien-aimés. Des raisons de délicatesse et d'absolue discrétion ne nous permettent pas de soulever le voile de douleur qui abrita la famille Castang pendant ces années de désolation. Le moment n'est pas venu de divulguer les trésors de souffrances et d'héroïsme accumulés dans ce foyer chrétien visité par l'épreuve ! Nous le regrettons en un sens, car c'est supprimer une des plus belles pages — pour ne pas dire la plus magnifique — de l'histoire de Germaine et des siens. Confidente de notre jeune héroïne, nous nous rappelons avoir versé des larmes abondantes à la révélation de tant d'infortunes et de courage... Oui, nous regrettons de ne pouvoir tout révéler, mais pour le moment, ces intimes confidences doivent demeurer le secret des cœurs qui les ont reçus... Qu'il nous suffise de dire qu'à dix ans Germaine avait déjà fait alliance avec d'incroyables douleurs et pleuré d'inconsolables larmes... elle avait aussi donné à sa famille une preuve d'héroïsme filial qui, seul, servirait à l'immortaliser. Elle était une héroïne, elle n'était plus une enfant ! Sérieuse, réfléchie, Germaine fut vite mûrie aux rayons de la Croix et s'enracina de bonne heure dans la voie royale de la douleur au souffle de l'orage. Dès lors, il semble qu'elle ait rompu avec toutes les joies enfantines de son âge... Elle perdit sa gaîté... l'épreuve répandit sur ses traits ce je ne sais quoi de doux, de triste, de mélancolique qui ajoutait aux charmes candides de sa délicieuse physionomie. Sa patience crût avec l'épreuve, à tel point qu'elle devint d'un calme céleste et Marie de Saint-Germain nous apprend que sa bien-aimée petite sœur devint l'ange consolateur de la famille. Bien plus, elle s'offrit en victime afin de détourner les cruelles épreuves qui s'abattaient alors si furieusement sur ceux qu'elle aimait.

La sœur aînée recevait dans de petites lettres intimes les confidences de sa chère cadette. « Oui, dit-elle, c'est surtout par les lettres de ma petite sœur que j'ai appris à bien connaître la bonté et la générosité de son cœur, sa grandeur d'âme dans les épreuves, fruit, sans doute, de sa tendre piété et de son ardent amour pour jésus-Hostie. Quand l'épreuve vint fondre sur la famille et plus poignante et plus cruelle, c'est cette enfant jeune et faible qui soutint les siens par de bonnes paroles, releva bien des fois les courages abattus, fit entrevoir dans un avenir lointain quelque lueur d'espérance et montra une énergie dont j'eusse été incapable. Au plus fort de l'épreuve, elle s'offrit même en victime à la divine Providence. Si Dieu n'agréa point alors son sacrifice, ce fut peut-être pour nous le rendre à cette heure et plus douloureux et plus amer ! Mais l'épreuve n'a qu'un temps, et si Dieu se plaît à épurer par l'adversité l'âme qu'il veut toute à Lui, il sait aussi répandre le baume de la consolation sur la blessure faite de sa main » (4).

Avant de venir s'installer à Bordeaux, la famille Castang passa deux ans environ dans un petit hameau des environs de Nojals. Nous savons que ce changement de résidence fut d'autant plus pénible pour Germaine qu'il l'éloignait de la chère petite église de son Baptême et de la maison des bonnes Sœurs... Elle avait un immense désir de s'instruire ; renoncer aux leçons de ses pieuses institutrices lui fut une rude épreuve. « J'avais beaucoup d'attraits pour l'étude et j'employais très bien mon temps en classe », nous avouera-t-elle naïvement au cours de son noviciat. Mais en ce temps-là il ne s'agissait pas d'aller à l'école de Nojals : Dieu appelait Germaine à l'École du Calvaire et Germaine le comprenait si bien qu'elle s'offrait en victime sur les collines de myrrhe : la douleur et l'amour l'instruisaient divinement et lui révélaient les grandeurs des éternelles récompenses : « La peine ! On la boit goutte à goutte, tandis qu'elle sera récompensée par un torrent de délices et de joie » (5).

Germaine avait onze ans lorsque ses parents résolurent de venir se fixer à Bordeaux ; ils espéraient s'y trouver plus à couvert des coups de l'adversité et y gagner plus facilement la vie de leurs nombreux enfants. Ils se décidèrent donc à venir dans la Gironde… Mais avant de les voir quitter la Dordogne, racontons une petite anecdote qui nous prouvera la patience et l'énergie de Germaine. La petite fille se possédait déjà parfaitement et savait souffrir en silence : prouvons-le. Un bon propriétaire, voisin des Castang, cultivait avec un soin tout particulier un carré de fraisiers qui promettait une récolte superbe. Le cultivateur allait chaque jour visiter le carré aux savoureux produits, mais il paraît qu'un avisé maraudeur y allait comme lui, et un beau jour, le malheureux villageois trouva carrés et plates-bandes dévastés la cueillette avait été faite :

Les fraises avaient été volées... Comme Germaine allait souvent promener ses petits frères dans le jardin de ce bon voisin, celui-ci tout courroucé, osa porter ses premiers soupçons sur la chère petite fille, à laquelle du reste, il avait souvent donné toute latitude de cueillir fleurs et fruits. Mais la douce Germaine n'avait jamais abusé de la permission ; peut-être même n'en avait-elle jamais usé !! Elle était si délicate. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle n'avait pas pris une seule fraise du carré dévasté... Elle était avec sa mère lorsque le bon voisin se présenta. Celui-ci, bien aise de rencontrer Germaine et sa mère, fit part à cette dernière de ses soupçons et de sa désolation. Fort étonnée d'une pareille accusation, Mme Castang se tourna vers sa fille et lui demanda si vraiment c'était elle qui avait commis ce larcin... L'accusateur ne laissa pas à l'accusée le temps de répondre un seul mot, et, toujours courroucé, il dit à Mme Castang : « Vous croyez qu'elle le dira ?... Elle aurait un rat dans la bouche, et on en verrait pendre toute la queue, qu'elle dirait que ce n'est pas vrai ! »…

Germaine n'avait jamais dit un mensonge de sa vie... S'entendre tout à la fois traiter de voleuse et de menteuse fut pour sa noble et fière nature une terrible humiliation, et humiliation d'autant plus douloureuse à supporter qu'elle était imméritée... Germaine était innocente. Cependant, elle baissa la tête et ne répondit rien, mais, raconta-t-elle plus tard, « je souffris beaucoup intérieurement ». Ah ! Sans doute, elle devait sentir l'indignation bouillonner en elle : « Si je ne répliquai pas, ajouta-t-elle, ce fut par respect pour ma mère présente ! » Tel était le respect de cette enfant pour sa mère qu'elle n'osait en sa présence donner libre cours à son émotion et à son indignation : elle préférait souffrir en silence et laisser la parole à sa chère maman, persuadée qu'elle était que sa mère ne doutait pas de son innocence... Oh ! Combien cette scène, si simple et si touchante qu'elle soit, nous rappelle le silence admirable du divin Accusé au jour de sa sainte Passion... « Jésus se taisait et Il ne répondit rien... Ille autem tacebat et nihil respondit... » (6) Ô divin silence ! Ô patience d'un Dieu !!!

 

Notes

 

(1). A cette époque, nous croyons que la famille Castang n'habitait plus Nojals, mais un hameau voisin.

(2). Isaïe.

(3). Mgr de Ségur,

(4). Lettre particulière, juin 1897.

(5). Saint Bernard.

(6). Saint Marc, XIV.

 

 


 

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