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Marie-Céline de la Présentation
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22 juillet 2020

Fleur du Cloître - 7

Fleur du Cloître

 

Chapitre Septième

Le baiser de la joie et le baiser de la douleur


Il a placé la paix sur tes frontières.

Il te nourrit de la fleur du froment.

Alléluia ! (Liturgie).

 

Les douleurs de la mort m'ont environné...,

j'ai trouvé l'affliction et la douleur. (Ps. CXIV).

Ma harpe s'est changée en plainte lugubre. (Job, XXX).


Germaine avait treize ans et quelques mois lorsqu'elle franchit le seuil de la Maison de Nazareth ; la tristesse et la joie se partageaient son cœur... la pensée de ses parents tristes et malheureux lui arrachait des larmes... mais au travers de ses larmes elle voyait enfin le Tabernacle d'où bientôt viendrait à elle le Dieu de la Première Communion et il lui semblait que, nourrie du Pain de vie, elle serait ensuite plus forte pour lutter contre la douleur... Depuis si longtemps elle aspirait aux joies de l'union eucharistique : elle allait enfin en connaître les douceurs. « Nazareth » serait bien pour elle la cité des fleurs... puisque, dans son enceinte, elle y rencontrerait jésus voilé sous la fleur du froment... Ô délicieuse perspective, bientôt serait dressée la Table de l'Eucharistie en face de son cœur affamé, et elle y recevrait le Pain du Ciel, le Pain des Anges…

Ravie d'amour en cette Hostie qu'elle espérait, Germaine humble, candide et recueillie, charma maîtresses et élèves à la solitude de Nazareth ; mais ici laissons la parole à l'une des saintes religieuses qui l'ont le plus connue : « Dès son arrivée à « Nazareth », Germaine se montra une enfant exemplaire ; elle était pour ses compagnes d'une très grande charité. Si quelques-unes avaient besoin d'un service, elles savaient que, pour faire plaisir à Germaine, il fallait le lui demander ; pour toute récompense, elle réclamait « une petite prière afin de bien apprendre à travailler ».

La piété était entrée de bonne heure dans cette jeune âme et nous remarquâmes que l'esprit de foi animait déjà tous ses actes. Arrivait-il à la fillette de ne pas comprendre de suite la leçon de travail manuel qu'on lui donnait, cela lui valait parfois une vive observation de la part de la compagne désignée pour être sa petite maîtresse de couture ; alors Germaine acceptait la remontrance sans mot dire ; peu après on la voyait pleurer, « à cause de la peine involontaire qu'elle donnait » ; puis, sachant que la prière peut tout, elle s'adressait à saint Joseph, afin d'apprendre bien vite tout ce qu'on lui enseignerait, et cela en vue de dédommager de la peine qu'elle donnait, et aussi pour venir en aide, par son travail manuel, à notre bonne Mère Saint-Pierre qui l'avait reçue, disait-elle, avec tant de bienveillance... Ainsi, elle s'attira l'estime et l'affection de tout le monde.

Germaine fut nommée « l'Ange de l'atelier » et le témoignage de ses compagnes, tout flatteur qu'il paraisse, ne fut pas contredit. Dans les ateliers, où chacune est examinée et connue de près par ses compagnes, cette jeune fille à l'humeur si égale, au cœur si aimant et si pur, s'entendit plus d'une fois appelée : l'Ange de la douceur !

Il n'était pas d'occupation, si attrayante fût-elle, que la petite pensionnaire ne quittât sur-le-champ au moindre signe d'appel, pour courir, le sourire sur les lèvres, où la réclamait son devoir ou un service à rendre.

Il lui arriva souvent de se faire l'avocate de ses compagnes auprès de ses maîtresses ; elle allait même jusqu'à s'offrir à faire la pénitence à la place de la coupable.

Germaine était encore plus empressée à plaire à Dieu. Son occupation favorite était d'orner de fleurs une petite statue de saint joseph ou une image de la Très Sainte Vierge qu'elle avait constamment sous les yeux... On avait comme une révélation des richesses de cette âme d'enfant par l'air d'innocence et de candeur qui rayonnait au dehors et dont tout le monde était frappé.

Sur le désir qu'elle témoigna d'être toute à Marie, notre Bonne Mère, témoin de sa grande piété, consentit à l'admettre au nombre des aspirantes des Enfants de Marie, privilège tout spécial qui lui fut accordé même avant sa Première Communion.

Germaine avait plus de treize ans ; il fallut la préparer à sa Première Communion qu'une infirmité avait fait ajourner jusqu'à cette époque. Ce retard avait été accepté avec calme et résignation par la chère enfant qui le voyait dans la volonté de Dieu... mais avec quelle ardeur se prépara-t-elle à recevoir Jésus-Hostie ! L'étude de son catéchisme devint sa grande préoccupation et elle vit arriver le jour de l'examen sans aucune crainte, confiant à saint Joseph, dont elle tint constamment serrée la statue dans sa main pendant qu'on l'interrogeait, le succès qui devait décider de son céleste bonheur.

Sa retraite de Première Communion fut très édifiante, elle voulut se priver de ses récréations pour mieux se préparer à cette grande action. Enfin, le jour si ardemment attendu arriva et Germaine, toujours calme et heureuse, s'approcha de la divine Eucharistie, pleine de l'intelligence de ce grand mystère, pénétrée de respect et brûlant d'amour pour son jésus.

Au soir de cette grande et belle journée, Germaine se consacra d'une manière toute particulière à Marie et mit sous la garde de cette Bonne Mère ses ferventes résolutions » (1).

C'était le 12 juin 1892, en la fête d'amour que l'Église appelle la Fête du Très Saint Sacrement, que nos pères ont nommée la Fête-Dieu, et en laquelle « Sion chante son Sauveur par des hymnes et des cantiques ». Nous avons su de Germaine qu'en ce beau jour, le plus beau de sa vie, elle avait versé « beaucoup de larmes de joie, de bonheur et d'émotion... » Quelques personnes firent à la première communiante le reproche « qu elle était trop sérieuse en cette belle journée », mais elle ne s émut guère de cette observation et elle en fut bien vengée lorsque, au soir de ce beau jour, son père, en embrassant sa fille chérie, lui dit qu 'il était très satisfait et très fier de sa petite Germaine, « parce qu'elle avait été toute la journée la plus modeste, la plus sérieuse et la plus recueillie en Dieu de toutes les premières communiantes ».

Après les émotions de la Première Communion vinrent celles de la Confirmation. Germaine Castang fut confirmée à la cathédrale de Bordeaux et reçut à la Confirmation le nom de Claire ; c'était comme un présage de sa vocation de Clarisse et il est permis de croire qu'à partir de cette époque, sainte Claire d'Assise entoura d'une sollicitude et d'une protection spéciales celle qui devait bientôt revêtir les livrées séraphiques et mourir Professe de son Ordre !

Nourrie du « pain vivant descendu du Ciel » et illuminée des dons du Saint-Esprit, la jeune vierge chrétienne supplia le Seigneur Jésus d'agréer l'offrande de son cœur virginal et depuis cette époque bénie, elle aspira ardemment à la vie religieuse. Son âme qu'avait effleurée le baiser de l'Hostie voulait s'élancer sur les pas de l'Époux sacré et le suivre dans les mystères d'une vie toute de virginité et d'amour... Son front, encore humide du sceau de la Confirmation, voulait pour couronne des roses et des épines... Jésus devait exaucer cette demande d'une âme pure et ce sera dans le cloître que Germaine chantera le Magnificat de sa reconnaissance : au quatrième anniversaire de sa Première Communion, elle franchira le seuil de l'« Ave Maria » : Dieu peut-il refuser ce qu'on lui demande un jour de Première Communion ?…

Mais, avant de combler les vœux de sa petite servante, le Seigneur la soumit à une cruelle épreuve aux joies enivrantes du premier baiser de l'Eucharistie se mêla le baiser sanglant de la douleur, et ce fut dans le plus sombre des deuils que se termina cette année 1892. Tout d'abord, Germaine vit ses parents s'éloigner d'elle ; des amis prudents leur avaient conseillé de quitter Bordeaux où ils continuaient à être fort malheureux. On offrit à M. Castang un emploi de confiance dans un grand domaine des environs de la Réole. Il se hâta d'accepter cette offre et il alla s'installer avec sa famille à l'ombre d'un beau château, dans une magnifique propriété qui devint pour lui un nouveau Calvaire. C'est là, hélas ! Qu'il devait fermer les yeux à sa femme et à son fils, et pleurer d'inconsolables larmes. Cependant, dans le courant de cette année 1892 personne n'eût pu soupçonner le douloureux événement de ses derniers jours de décembre. Mme Castang paraissait forte et vaillante… En la voyant se dépenser au chevet de son fils mourant, on ne se serait point douté que la pauvre femme souffrait d'une hernie dont elle cachait courageusement l'existence, ne voulant point inquiéter son cher entourage et ayant l'incroyable énergie de dissimuler ses souffrances pour ne s'occuper que de celles des autres.

Mais Dieu voulut lui épargner l'affreuse douleur d'assister à l'agonie de son cher Louis et de pleurer près de la dépouille mortelle de ce fils de vingt-trois ans. La pauvre mère avait assez souffert ici-bas... Cinq enfants l'appelaient au Ciel, un sixième allait quitter la terre : de par décret divin, c'était l'heure de fuir l'exil et de monter vers l'Immortalité !…

Ce départ fut soudain et d'autant plus cruellement douloureux qu'il était absolument imprévu. Le 29 décembre, Mme Castang se sentit frappée à mort, en descendant de voiture. « Je meurs s'écria-t-elle, c'est fini ! » On entoura la malade, on lui prodigua les meilleurs soins, rien n'y fit : la crise était mortelle. La mourante réclama l'image de Notre-Dame du Perpétuel Secours qui l'avait miraculeusement sauvée quelques années auparavant... on courut à sa recherche, mais on ne put trouver cette précieuse gravure : la Très Sainte Vierge voulait se montrer à sa servante, non plus en image, au travers des ombres terrestres, mais dans la délicieuse réalité des visions du Ciel.. Soins, remèdes, prières, tout fut inutile ! Mme Castang succomba... Elle avait quarante et un ans et mourait des suites de cette cruelle hernie dont elle avait longtemps caché l'existence par tendresse pour les autres, et qu'elle avait dû si peu soigner par oubli d'elle-même…

Autour de la défunte, la douleur éclata immense... inconsolable. M. Castang fut comme écrasé sous le poids d'un tel malheur. Entre sa femme morte et son fils mourant, il crut qu'il allait succomber lui-même. La pensée de ses enfants le rattachait à la vie tout en redoublant sa douleur... La vue de ses deux benjamines, Lubine et Lucia, petites filles de huit ans et demi et de sept ans, qui sanglotaient près du corps glacé de leur pauvre mère, et celle de leur frère aîné qui se mourait dans une pièce voisine, achevait de navrer ce père désolé... Après avoir appelé Dieu à son aide, il appela Germaine à son secours ; l'apparition de cette douce jeune fille serait comme une vision d'espérance, dans cette scène de mort, de douleur, de larmes et de deuil... Elle réconforterait son père, soignerait son frère et essuierait les larmes de ses deux petites sœurs... on prierait et on pleurerait ensemble ! Mêler ses larmes et ses prières, c'est une des grandes consolations de ceux qui souffrent !

Un télégramme arriva à « Nazareth » apportant la fatale nouvelle. C'était dans la soirée ; on crut devoir remettre au lendemain l'annonce à Germaine d'un si terrible malheur. Au matin du 30 décembre, une religieuse aborda tristement Germaine : « Mon enfant, lui dit-elle, j'ai une bien douloureuse nouvelle à vous annoncer. - Oh ! S'écria la pauvre Germaine, c'est mon frère Louis qui est mort ?… - Non reprit la Sœur, c'est... » et elle n'osa achever... Germaine la supplia de s'expliquer, et il fallut bien, sans autres préambules, finir la phrase douloureuse... Germaine éclata en sanglots ; sa douleur était déchirante : elle n'avait plus de mère... et cette mère chérie était morte sans que sa fille aimante eût pu lui donner un dernier baiser et lui dire un dernier adieu... Oh ! qu'elle frappait cruellement, l'impitoyable mort !

Cependant, Germaine, malgré son chagrin et son abattement, sollicita la permission de partir immédiatement. Elle espérait arriver à temps pour contempler une dernière fois le doux visage de sa vénérée mère et assister à ses funérailles. Il fallut céder aux instances de Germaine en pleurs. Du reste, le trajet était si court et si simple par le bateau, qu'on laissa partir la fillette toute seule à la garde de son bon ange. Le cœur brisé et des larmes plein les yeux, la douce Germaine s'embarqua à deux heures de l'après-midi.

Toute à son immense chagrin, elle paraissait comme insensible à tout ce qui se passait autour d'elle. Cet état de douleur concentrée, qui se trahissait par des larmes et une tristesse extraordinaire, toucha et émut profondément une dame qui voyageait par le même bateau. Elle s'approcha de cette jeune fille si charmante, si triste et si seule ; elle l'interrogea affectueusement ; elle voulut savoir son chagrin et le but de son voyage. Elle chercha à consoler l'orpheline et s'intéressa si maternellement à elle qu'elle voulut lui offrir l'hospitalité dans sa propre demeure à sa descente du bateau. Tout d'abord Germaine refusa ; elle avait hâte d'arriver à la maison mortuaire, elle voulait passer la nuit près du cercueil de sa mère. Mais le bateau eut du retard ; le village où Germaine et sa protectrice descendirent, à sept heures du soir, était encore assez loin de l'habitation de M. Castang. C'eût été imprudence de laisser une jeune fille partir seule, à pied, pour faire une heure de chemin en pleine soirée de décembre. La charitable dame s'opposa aux desseins de sa nouvelle petite amie et l'emmena chez elle. Sous ce toit hospitalier, Germaine fut comblée de touchantes prévenances. Les deux filles de sa bienfaitrice l'accueillirent avec une grande compassion. Elles firent sécher ses vêtements tout mouillés de pluie et de neige... de plus, la petite voyageuse dut accepter la place d'honneur devant l'âtre où brillait un bon feu et, malgré ses protestations elle dut s'asseoir à la table de famille où pour faire plaisir à ses bienfaiteurs, elle consentit à accepter quelque peu de nourriture.

Après le souper, une des filles de la charitable hôtesse de Germaine la conduisit dans la chambre qui lui avait été préparée ; elle causa longtemps avec elle et ne la quitta qu'après l'avoir comblée de caresses, de prévenances fraternelles et avoir essuyé ses larmes qui coulaient toujours.

Germaine était bien émue d'une telle réception faite à une étrangère. Elle ne savait que dire et que faire pour en témoigner sa reconnaissance. Elle répétait de doux mercis au milieu d'intarissables larmes... Pauvre Germaine ! elle faisait pitié à voir... et, cependant, elle était si calme, si résignée à la volonté de Dieu, qu'elle était admirable dans sa sereine et immense douleur…

Épuisée de larmes, brisée d'émotions et accablée de fatigue, Germaine s'endormit enfin sous l'aile de son bon ange... Ainsi se termina cette lugubre journée.

Le lendemain matin, la même jeune fille qui s'était montrée si sympathique pour Germaine vint lui apporter à déjeuner dans son lit, et la prévint qu'aussitôt levée elle pourrait partir : son beau-frère l'attendait avec une voiture pour l'accompagner au plus tôt chez ses parents. Germaine se confondit en excuses et en remerciements... Sur le point de quitter ses généreuses hôtesses, elle leur renouvela en termes émus le sentiment de sa profonde gratitude, et, déliant les cordons de sa petite bourse, elle voulut payer les frais de cette parfaite hospitalité. Mais les trois dames se récrièrent et, refusant tout salaire, elles demandèrent simplement à Germaine la permission de l'embrasser une dernière fois.

Nous regrettons vivement de ne pas connaître le nom de cette charitable famille. Germaine, elle-même, ne put le savoir, mais jamais elle ne perdit le souvenir de l'hospitalité reçue au jour le plus triste de sa vie, et, jusque sur son lit de mort, elle en parla avec émotion et reconnaissance.

La voiture particulière qui conduisait Germaine chez son père, s'arrêta à une faible distance de la maison qu'habitait M.Castang. On eût dit que le gendre de la charitable hôtesse de Germaine voulait se soustraire aux remerciements de sa famille et garder l'incognito le plus absolu.

Tandis que la voiture repartait à toute vitesse, Germaine arrivait tremblante en face de la maison mortuaire. Mais au moment où elle allait en franchir le seuil, un voisin la prévint qu'elle arrivait trop tard ; la levée du corps avait eu lieu ; la morte chérie n'était plus là : c'était l'heure des funérailles à l'église.

On se figure la cruelle déception de Germaine. La voilà donc qui repart à l'instant... elle court en pleurant à la recherche du cercueil de sa mère... Cette mère aimée, elle ne la reverra plus !!! Pourra-t-elle du moins s'approcher de son étroite bière avant qu'elle ne soit descendue dans la fosse profonde ?... Pourra-t-elle l'arroser de ses larmes avant qu'on l'ait recouverte de terre ?

Telles étaient les pensées navrantes du cœur angoissé de Germaine, et elle courait toujours dans les sentiers déserts... Elle ne s'arrêta qu'à la porte de l'église. Là, elle prêta l'oreille : c'était un lugubre silence. Elle rassembla tout son courage, toutes ses énergies et elle entra dans la maison du bon Dieu... Ô déchirant spectacle ! elle aperçut le cercueil de sa mère chérie au milieu de l'église, et, à l'entour, le père et les enfants sanglotaient à fendre l'âme… : à l'autel, le prêtre disait la messe des funérailles... à laquelle assistaient des amis sympathiques et émus.

Germaine, comme pétrifiée par la douleur, s'arrêta au bas de l'église... « C'est donc fini, se dit-elle, je ne verrai plus ma mère... » et tombant sur un prie-Dieu, les yeux fixés sur le drap mortuaire qui recouvrait les restes de cette incomparable mère, elle sentit s'amonceler en son âme des flots de douleur et laissa redoubler le torrent de ses larmes. Tout à coup, se retournant, agitée je ne sais par quel pressentiment de la venue de sa grande sœur, une des petites sœurs de Germaine l'aperçut au bas de l'église ; la fillette, ne pouvant maîtriser son émotion, s'écria à haute voix : « Papa, voilà Germaine ! » M. Castang, se retournant à son tour, vit sa fille chérie ; ses sanglots redoublèrent ; il lui fit signe de venir le rejoindre. Germaine s'avança pâle, inondée de larmes, et, s'agenouillant au milieu des siens, elle mêla ses prières aux leurs pour le repos de cette âme bien-aimée, dont la dépouille mortelle était cachée à ses regards navrés par une mince planche de sapin... L'âme de Germaine était à l'agonie, mais la courageuse enfant eut l'énergie de commander impérieusement à sa douleur, afin de ne pas redoubler celle des êtres chéris dont elle devait être l'ange consolateur. Elle demanda à Dieu de soutenir son père et à Marie de lui servir de mère... elle consacra ses frères et ses sœurs à Celle qu'on nomme si justement l'Espérance des désespérés et, l'âme retrempée dans la prière fervente, elle eut le courage de suivre jusqu'au cimetière les restes vénérés de celle « qui était aimée de tous parce qu'elle savait s'oublier pour tous » (2). Ce fut un moment déchirant que celui où l'on descendit le cercueil dans l'horrible trou de terre… Penchés sur les bords de cette fosse béante, le père et les enfants l'arrosèrent de leurs larmes... le prêtre murmura encore quelques prières et jeta quelques gouttes d'eau bénite... il y eut un redoublement de sanglots : c'était le dernier adieu à la dépouille mortelle de cette femme vénérée... c'était le sacrifice consommé…

« Mon Dieu, vous nous l'avez donnée, vous nous l'avez ôtée, que votre saint nom soit béni !... (3). Tel était à cette heure le cri des âmes angoissées ! Ainsi fut conduite au repos de sa dernière demeure cette épouse modèle, cette mère de douze enfants, cette chrétienne aux grandes et fortes vertus…

« C'était une mère au-dessus de l'admiration, unissant à la tendresse d'une femme l'énergie d'une âme virile » (4).

« Ses enfants se sont levés et ont proclamé qu'elle était très heureuse. Son mari s'est levé et l'a comblée de louanges » (5).

« Dieu l'a éprouvée par de longues tribulations pour la rendre plus digne de Lui, aussi sa mort est-elle pleine d'espérance » (6).

« Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur ! » (7).

« Nous avons perdu.la mère qui nous avait été donnée, mais nous n'avons pas perdu Celui qui nous l'avait donnée » (8). Ainsi pouvaient dire et soupirer les enfants de la douce envolée, au douloureux retour du cimetière. Dieu leur restait ! C'est l'Ami qui ne passe pas… C'est l'Ami qui demeure…

Oh ! combien cette famille éprouvée avait besoin du Dieu Consolateur !!... En rentrant à la maison en deuil que venait de quitter sa mère, Germaine y trouva son frère chéri cloué sur un lit de douleur et arrivé à la dernière phase de la maladie qui allait l'emporter. En apercevant sa sœur bien-aimée, le malade lui tendit ses bras défaillants : « Ah ! Te voilà, ma pauvre Germaine ! » dit-il simplement, et ses larmes coulèrent abondantes... Germaine se précipita dans les bras de son frère : « C'est moi qui te soignerai, lui dit-elle, nous n'avons plus de mère !... » et le frère et la sœur mêlèrent leurs larmes amères... Les deux petites filles Lubine et Lucia poussaient des cris déchirants : la scène était navrante ! Germaine y mit fin avec ce tact et cette calme raison qui furent toujours un des côtés saillants de son grand caractère.

Lucie, la chère fille aînée, n'était point là pour remplacer sa mère. Dans l'ombre de son cher couvent, elle disait son fiat douloureux et restait rivée à la croix de la vie religieuse. À Germaine de remplace, la mère et la sœur. Elle le fit avec cette sagesse et ce cœur qui la caractérisaient : consolatrice de son père, garde-malade de son frère, petite mère de ses sœurs, ange gardien de ses frères, Germaine fut tout cela à la fois ; elle avait quatorze ans et sept mois... mais déjà « Dieu lui avait donné en partage la douceur, l'abnégation, et le dévouement » (9).

Les funérailles de Mme Castang avaient eu lieu le dernier jour de l'année. Le lendemain fut un triste jour de l'an. C'était la Croix, la Croix toute nue que Jésus-Enfant offrait en étrennes à la future Clarisse... Pour mieux la porter, elle redoubla de ferveur et d'amour envers le Dieu bon d'où vient toute force. Elle commença l'année dans la prière et de bonne heure, le 1er janvier 1893, elle était prosternée devant le Tabernacle, demandant courage et secours au Dieu de l'Eucharistie... Ce 1er janvier tombait un dimanche, mais, tout à sa douleur, M. Castang avait perdu la notion du temps et des jours. Voyant rentrer sa fille, le père, étonné de sa sortie matinale, lui dit : « Tu es allée à la messe ? » - « Oui, père, c'est dimanche ! » - « Ah ! répondit M. Castang, pourquoi ne me le disais-tu pas ? Je t'aurais bien accompagnée... Je ne croyais pas que ce fût dimanche... et voilà que j'ai manqué la messe un dimanche... et que je ne pourrai pas réparer mon oubli puisqu'il n'y en a pas une seconde ». Et le pauvre homme se désolait... Germaine fut bien mortifiée, mais, ignorant les usages de l'église du lieu, elle ne s'était pas doutée qu'il ne s'y célébrait qu'une messe chaque matin.

Elle consola son père et dut rassurer le fervent chrétien en lui disant que l'excès de sa douleur expliquait son oubli involontaire et l'excusait aux yeux de Dieu…

Cependant, le jeune poitrinaire s'en allait rapidement... la mort de sa mère avait brisé ses dernières forces. En vain Germaine multipliait ses soins et ses délicates attentions, la maladie du frère fut plus forte que la tendresse de la sœur... Louis était parfaitement résigné et admirablement préparé à la venue de la mort ; l'angélique jeune homme, comme saint Louis de Gonzague son patron, souriait presque au trépas. Il avait la nostalgie du Ciel et peut-être sa sainte mère vint-elle, elle-même, chercher le fils de sa prédilection…

Huit jours après la mort de Mme Castang, Germaine et son père, étant dans une chambre voisine de celle du malade, l'entendirent pousser un grand cri. Tous deux se précipitèrent vers Louis. Un flot de sang s'échappait de sa poitrine brisée... Quel spectacle !

Des jets de sang rejaillissaient jusqu'au milieu de l'appartement ; le lit, le plancher en étaient inondés. C'était la crise suprême. Épuisé par ce dernier effort, Louis, âgé de vingt-trois ans, rendit son âme à Dieu, entre les bras de son père et de sa sœur qui lui suggéraient de pieuses invocations et lui montraient le Ciel…

« Sa mort fut celle d'un saint ! » dit Marie de Saint-Germain à qui on envoya tous les détails des derniers moments de son frère.

Il était tard, lorsque mourut Louis. On ne pouvait appeler les voisins, Germaine et son père rendirent au mort les derniers devoirs et veillèrent près du lit funèbre…

C'était la seconde fois en huit jours que la mort fauchait ses victimes en ce logis de douleurs, et quelles victimes ! Une mère de famille dans la force de l'âge et un fils dans sa radieuse et angélique jeunesse…

Comme toujours, Germaine fut admirable de sang-froid et de dévouement en ces douloureuses circonstances. Elle avait compris quelle mission elle avait à remplir au sein de sa famille éprouvée ; elle ne faillit point à son devoir, et fut simplement héroïque ! Refoulant sa propre douleur, elle en retenait le cri ému pour ne s'occuper que de celle des autres, mais Dieu seul sut jusqu'où son âme fut brisée et son cœur déchiré. Or, la moitié de ce cœur était monté au Ciel avec ceux qu'elle aimait... l'autre moitié restait sur la terre avec ceux qu'il fallait consoler... car il était bien vrai — navrante réalité ! — que la moitié de la famille avait disparu : Mme Castang et six de ses enfants avaient abordé aux rives éternelles… M. Castang et six autres enfants demeuraient dans cette vallée amère : In hac lacrymarum valle… Ô mon Dieu ! daignez réunir tous, un jour, là-haut, ceux qui se sont tant aimés ici-bas !!…

 

Notes

1. Note des religieuses de « Nazareth ».

(2). Bossuet.

(3). Job.

(4). Mach.

(5). Prov.

(6). Saint Jérôme.

(7). Apocalypse.

(8). Saint Augustin.

(9). Prov.

 


 

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