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Marie-Céline de la Présentation
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22 juillet 2020

Fleur du Cloître - 10

Chapitre dixième

La meilleure part

 

« Le cordeau du partage est tombé pour moi sur une part merveilleuse. Splendide est, en effet, mon héritage, car, c'est Dieu même qui m'est échu en possession. Béni soit le Seigneur qui m'a donné de le comprendre ! » (Psaume XV, 5-7).


Au quatrième anniversaire de sa Première Communion, le 12 juin 1896, en la solennité de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, Jeanne-Germaine Castang fit ses adieux à la Révérende Mère Supérieure de Nazareth, lui redit à nouveau sa reconnaissance pour ses longs bienfaits et embrassa une dernière fois ses compagnes en larmes ; puis, accompagnée de la Révérende Mère Assistante, de Sœur N., sa maîtresse, et de Claire sa confidente (1) elle arriva au Monastère de l’Ave Maria. Le Cœur de Jésus guidait sa fuite vers la solitude et inondait l'âme de sa petite servante d'une joie extraordinaire. Quoique bien émue du sacrifice de la séparation qu'elle venait de consommer par ses adieux à Nazareth, Germaine s'arrêta souriante devant la porte de clôture... Une inscription austère se lit au-dessus de cette porte du cloître, et indique en cinq mots ce que font par delà ces sombres murailles les mortes-vivantes qui se renferment dans le tombeau de la clôture :


Ici on apprend à mourir !


C'était donc à cet apprentissage de mort qu'allait se vouer Germaine. Quelques amies qui étaient venues assister à son entrée tremblaient pour elles, mais l'heureuse aspirante les réconfortait et les suppliait de ne pas pleurer sur son sort…

Tandis que, dans le vestibule, Germaine hâtait de ses désirs le moment où s'ouvriraient nos lourdes portes de clôture, les bonnes religieuses qui l'accompagnaient nous parlaient confidemment à la grille du parloir : « Nous vous amenons, nous dirent-elles, une belle petite âme. Nous sommes convaincues qu'elle vous arrive avec toute la radieuse beauté de son innocence baptismale… » et leurs éloges sur Germaine ne tarissaient pas. Ce n'était point sans peine qu'elles se séparaient de « l'ange de l'atelier ». Plus tard, faisant allusion à cette séparation qui leur coûta des larmes, les mêmes religieuses écrivirent : « Tout en nous réjouissant avec elle de son bonheur, nous ne pûmes nous empêcher d'éprouver une certaine tristesse en nous séparant de cette chère enfant qui était pour notre maison un véritable paratonnerre ; nous en fîmes le sacrifice au bon Dieu, mais ce ne fut pas sans verser des larmes et son souvenir vivra longtemps parmi nous… »

Cependant, au son de la cloche capitulaire, les religieuses s'étaient réunies sous les cloîtres : l'instant était venu de faire entrer Germaine au silencieux désert de l'Ave Maria : Attollite portas vestras... Ouvrez-vous, portes mystérieuses, laissez passer « l'ange de Nazareth… » les vierges Clarisses l'attendent dans leur solitude séraphique… Et les portes s'ouvrirent… Germaine aperçut la grande croix de bois qui venait à sa rencontre : c'était un appel divin, le signal du dernier sacrifice. Elle s'arracha des bras de ses maîtresses chéries et vint se prosterner sur le seuil du cloître, aux pieds de la Très Révérende Mère Abbesse qui lui donna sa bénédiction et, la relevant avec tendresse, l'introduisit dans les rangs des cloîtrées... Un instant, les religieuses de Marie-Joseph purent apercevoir les moniales de Sainte-Claire aux pieds nus et toutes voilées de noir… puis la porte de clôture se referma « avec ce bruit de tombe qu'on clôt » et tandis que, dans le vestibule extérieur, les maîtresses et amies de Germaine pleuraient ce départ qui ressemblait tant à une mort, à l'intérieur retentissait le chant du « Magnificat », une procession s'organisait et nous conduisions la nouvelle petite sœur que Jésus nous donnait, au pied de l'humble Tabernacle de bois, devant lequel, comme une lampe ardente, elle allait se consumer avec tant d'amour et en si peu de temps.

Quelques heures après, Germaine prenait le costume des postulantes : une guimpe blanche, un bandeau et un voile noirs. Ce fut sous ces nouvelles livrées qu'elle fut présentée à ses compagnes de Noviciat et qu'elle reçut leur baiser de paix. Elle produisit une délicieuse impression, non seulement dans le groupe des novices, mais aussi chez les sœurs de Communauté qui l'accueillirent à bras ouverts. Si les Sœurs jeunes et anciennes souhaitèrent ainsi la bienvenue à la nouvelle arrivée, que faut-il dire de l'accueil que lui firent son Abbesse et sa maîtresse de Noviciat ? Il fut vraiment maternel : Dieu nous inspirait pour cette jeune fille une immense sollicitude jointe à cette compatissante tendresse et à cette sorte de prédilection que les mères donnent à ceux de leurs enfants qui ont pleuré dans l'épreuve et souffert dans l'infirmité.

Germaine se jeta filialement dans nos bras, et elle y fut maternellement reçue. Bientôt, à la vue de son éclatante sainteté, il allait se mêler comme un élément de respect et de vénération dans tout ce que nous donnions à notre enfant de religieuse affection.

Cependant, quelque régulière et exemplaire qu'elle fût dès son entrée au Monastère, Germaine ne parut tout d'abord qu'une postulante ordinaire. On vantait en secret son exactitude, on admirait son silence, sa charmante politesse : on ne se doutait pas des prodiges qu'elle allait accomplir dans la lutte contre elle-même. Dès le début de sa vie religieuse, Germaine examina la voie de renoncement qui s'ouvrait devant elle. On eût dit que les premiers jours lui servirent à dresser ses batteries, et de sa place de postulante, comme d'un poste d'observation, elle examinait en silence les combats mystiques qui se livraient sous ses yeux étonnés et ravis. Quelquefois, sortant de son silence, elle manifestait sa surprise et son saisissement à la vue de certains actes de vertu pratiqués par ses sœurs. Tout était nouveau pour elle dans cette grande vie monastique, si différente de la vie et des maximes du monde.

Un jour, je citai l'exemple d'une sainte religieuse qui, pour s'humilier, s'était accusée publiquement d'avoir menti. je n'eus pas le temps d'achever ce que l'humble religieuse appelait mentir, qu'un soubresaut de Germaine attira mon attention : « Qu'avez-vous, mon enfant ? » lui dis-je en souriant, et pressentant d'avance la réponse de ma chère postulante. - « Ma Mère, me répondit-elle, il n'est pas possible qu'une religieuse mente ; pourquoi donc dit-elle qu'elle a menti ? En tout cas, je ne dirai jamais ce que je n'ai pas fait ; si je n'ai jamais menti, je n'irai pas publier que je suis une menteuse, je ne comprends pas qu'on dise ce qu'on n'a pas fait… »

Les novices rirent beaucoup de l'indignation de Germaine et je repris : « Vous raisonnez ainsi parce que vous n'avez pas encore compris ce qu'est l'humilité des saints, mais en moins d'un an vous parlerez différemment ! » - « C'est égal, répondit Germaine, je ne dirai jamais ce que je n'ai pas fait... » et comme elle demeurait étonnée qu'une sainte religieuse ait pu parler de mensonge, j'expliquai à la naïve enfant que les saints en arrivaient à si bien se connaître et à se mépriser si parfaitement que leurs moindres imperfections leur paraissaient de vrais outrages au céleste amour. « Mais, ajoutai-je, voici un exemple qui vous fera comprendre les saintes exagérations des humbles, et ce que veulent dire quelques-uns quand ils se traitent de menteurs. Une religieuse dit à Dieu : « Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur et par-dessus toute chose... » Et puis, tout en redisant souvent dans la journée ses actes d'amour de Dieu, cette religieuse constate qu'elle s'est oubliée et qu'à tel moment elle a peut-être accordé à la nature quelques satisfactions aux dépens du pur amour qu'elle promet à son Dieu dans ses oraisons jaculatoires... Dans la contrition de son tendre amour, elle se dit : « J'ai menti à Dieu, car dans telle occasion, c'est moi que j'ai aimée plus que Lui, c'est l'amour-propre qui l'a emporté sur l'amour divin... Ô douleur ! j'ai trompé mon Dieu, car, entre deux actes d'amour qui lui disaient que je l'aimais pardessus toute chose, je me suis aimée et recherchée moi-même par-dessus tout... » De là les saintes désolations de l'âme fervente et les pieuses exagérations de son langage. Si elle dit tout haut ce qu'elle pense tout bas, Germaine croira peut-être qu'elle a fait un gros mensonge et tout simplement elle déplore quelques faiblesses de l'humaine nature qui contredisent les paroles de son acte d'amour. Et puis, dis-je en souriant, vous pouvez en croire David ; c'est lui qui a dit cette parole étrange mais vraie : « Omnis homo mendax ! Tout homme est menteur... » Je continuai la petite conférence du Noviciat en commentant ce verset du Psalmiste, et en terminant je dis à Germaine : « Vous paraissez redouter beaucoup les humiliations, me tromperais-je ? » - « Non, ma Mère, répondit franchement la chère postulante ; vous avez bien deviné que je n'aime pas l'humiliation ». - « Et moi, répliquai-je, je ne vous donne pas un an pour changer d'avis, mais je vous assure que dans moins de trois mois, vous viendrez à deux genoux demander d'être humiliée ».

Germaine écoutait telle prophétie d'un air fort surpris, et, n'en revenant pas de son étonnement, elle s'écria avec une admirable candeur : « Oh ! Ma Mère, pour que je vous demande cela, il faudrait bien que je change... » Là-dessus, la grande cloche de l'église nous appela au chœur et, prosternée devant le Tabernacle, Germaine demanda à Jésus d'éclairer son âme et de fortifier son cœur.

Que se passa-t-il entre cette âme si droite, si pleine de bonne volonté et Jésus doux et humble de cœur ? Ah ! Sans doute, son Dieu dut lui découvrir des horizons nouveaux... l'humilité lui parut divinement belle : l'humiliation absolument nécessaire ; elle comprit qu'il fallait passer par cette folie pour arriver à la sagesse, et ce fut alors comme un merveilleux changement qui commença de s'opérer en elle. « Croître en vertu, dit saint Basile, c'est croître en humilité ». Le Dieu qui donne sa grâce aux humbles le lui fit si bien comprendre que, pendant trois jours, la chère petite postulante fut absorbée par tout ce que le Seigneur révélait à son âme. Elle était pensive, et quiconque l'eût observée aurait pu deviner que de sérieuses pensées l'occupaient et la préoccupaient... « Un matin, raconte une professe du Noviciat, je rencontrai Germaine sous le cloître. Elle me fit signe qu'elle avait quelque chose à me dire et, comme le cloître est un lieu de grand silence, nous entrâmes dans un corridor voisin. Alors libre de parler, elle me dit : « Je crains de ne pas voir ma Mère Maîtresse avant le dîner ; puisque vous montez chez elle à dix heures, veuillez lui faire ma commission : je lui demande la permission de dire tout haut à la porte du réfectoire, lorsque la Communauté en sortira, que je suis une menteuse, et de répéter cela autant de temps que les Religieuses en mettront à défiler, parce que j'ai menti », ajouta-t-elle…

Comme je connaissais la grande sincérité de ma petite sœur et que je la savais incapable de mentir, je lui dis : « Vous avez menti, vous ?... C'est impossible. - « Oh ! si, reprit-elle, j'ai menti » ; - et comme je souriais avec incrédulité, elle me dit : « Puisque vous ne voulez pas me croire, je vais vous le prouver, écoutez-moi. Avant d'entrer au Monastère, je suis allée dans mon pays pour faire mes adieux à mon père et les personnes qui me voyaient disaient : Germaine va entrer au couvent ; comme elle a l'air pieux… c'est une petite sainte, etc... Et maintenant que je suis ici, je vois que je suis pleine de défauts... Non certes, je ne suis pas une sainte comme on l'a cru chez nous... Donc, j'ai trompé le monde ; j'ai menti par ma conduite et je veux le dire tout haut à la porte du réfectoire... car je suis pleine de défauts, il faut qu'on le sache !! »

Elle me dit cela avec une telle expression d'humilité, de simplicité et d'ingénuité que j'en restai dans l'admiration. « Mon Dieu, me dis-je en moi-même, comme cette chère petite Sœur progresse rapidement en vertu !... Il n'y a que quatre jours, elle raisonnait tout différemment. Comme elle doit bien correspondre à la grâce pour courir si vite dans la voie de la perfection ! Si elle continue, elle ne tardera pas à acquérir une haute sainteté... À partir de ce moment, j'eus pour cette angélique compagne une sorte de respect et de vénération que je ne saurais rendre. Chaque fois que je la rencontrais, son air modeste et recueilli me ravissait et, lorsque je ne composais pas assez religieusement ma démarche et mon maintien, la seule vue de cet ange terrestre suffisait pour me rappeler au devoir et me faire rougir de confusion en pensant que Germaine, en quelques mois, avait acquis un degré de perfection que je n'atteindrai peut-être jamais ».

Cette victoire de Germaine sur elle-même fut décisive ; à partir de ce jour, une lumière extraordinaire se fit en son âme ; les beautés et les grandeurs de l'humilité lui apparurent sous un jour nouveau. Non seulement elle ne redouta plus de s'humilier, mais elle se précipita d'elle-même dans toutes les humiliations. C'était presque journellement qu'au Noviciat elle se jetait à genoux, se prosternait la face contre terre et criait bien haut sa misère, son néant, son indignité… - « Je vous avais donné trois mois, lui dis-je un jour, pour devenir l'amie des humiliations... et quelques semaines ont suffi pour vous lier d'amitié avec elles !... » — « Oh ! Ma Mère, me répondit-elle, je me suis vue dans l'oraison et j'y ai découvert ma misère... Les autres font tout bien et moi je fais tout mal... Laissez-moi m'humilier... » Comment résister à de telles supplications ?… Il faut avoir vu Germaine pleurant à chaudes larmes de peur d'être trop estimée et pas assez humiliée, pour se faire une idée de son désir de l'humiliation... Elle nous forçait, pour ainsi dire, à la seconder dans ce travail d'anéantissement et d'édification... « Si notre petite sœur l'humilité est un mur, pouvions-nous dire, bâtissons dessus des tours d'argent ; si elle est une porte, revêtons-la de bois de cèdre » (2).

Nous sentions que le Seigneur se hâtait de perfectionner cette âme. Un jour, en l'absence de Germaine, je dis à ses compagnes : « Profitez bien de tels exemples, car cette enfant est trop parfaite, nous ne la conserverons pas ! » Ce pressentiment n'était que trop réel, hélas !

Nous ne craignons pas de le répéter, ce qui fut toujours le plus magnifique à contempler dans Germaine, ce fut son humilité à toute épreuve... On n'en finirait pas assurément, si on voulait citer les paroles et les actes par lesquels elle se jugeait digne de tous les mépris et réclamait toutes les humiliations. Elle était devenue, en quelques mois, une chercheuse d'opprobres, une passionnée d'humilité et c'est pourquoi elle atteignait si facilement le Cœur de Jésus, car vers qui s'incline le plus volontiers le cœur doux et humble si ce n'est vers l'âme la plus éprise d'humilité ? Oui, nous savons que c'est à l'humilité que le cœur de notre Dieu réserve ses prédilections… « Les autres font tout bien et moi je fais tout mal... » redisait l'humble Germaine... Peut-être nos lecteurs s'étonneront-ils de l'étrange conviction où se trouvait cette humble si parfaite, et, peut-être aussi, comme elle, aux premiers jours de son Noviciat, ils seront tentés de crier à l'exagération. Nous leur répondrons : « Saint Paul se disait le premier entre les pécheurs, le plus petit entre tous les Saints et le dernier des Apôtres. Il ne pouvait ignorer que d'autres avaient plus de défauts et moins de vertus que lui et il avouait même qu'il avait travaillé plus que les autres Apôtres. L'humilité serait-elle contraire à la vérité ? Non, puisque deux vertus ne se contredisent jamais l'une l'autre. Comment donc l'humilité a-t-elle des sentiments qui paraissent si éloignés de la vérité ? Ce que la raison n'entend pas, la lumière divine le révèle aux Saints. Ils ont d'eux-mêmes des sentiments humbles et véritables tout ensemble, sans savoir d'où ils viennent, comme le remarque un ancien solitaire » (2). Le vénérable Louis du Pont dit encore : « Mais qu'est-il besoin d'un si long discours ? Cette humilité héroïque est le fruit de la contemplation et un effet de la lumière divine. Nous pourrions comparer cette lumière à une lunette excellente qui grossirait beaucoup les objets. Celui qui a la vue faible les jugerait fort grands, et les grands même lui paraîtraient petits s'il les regardait sans instrument. Lors donc qu'avec cette lumière on considère ses péchés et non ceux d'autrui, on trouve les uns très grands et les autres petits » (3).

Cette lumière inondait Germaine ; elle lui venait du Tabernacle auprès duquel on la voyait passer des heures entières, immobile et dans un recueillement dont rien ne la tirait... Sa physionomie prenait alors quelque chose de si céleste qu'en la voyant on se sentait ému, et plusieurs de nos sœurs affirment que rien qu'à la regarder elles éprouvaient des sentiments de ferveur qui les rapprochaient de Dieu et les inondaient de joie... « Lorsque je ne pouvais pas faire oraison, raconte naïvement une novice, je regardais Germaine : sa vue seule jetait mon âme dans les flammes du divin Amour et je ne perdais pas le temps de l'oraison ». Germaine était loin de se douter de l'effet qu'elle produisait et de l'admiration qu'elle provoquait. On le lui cachait soigneusement et d'autant plus que le moindre éloge lui eût fait verser des larmes... Le plus grand plaisir qu'on pût lui faire était d'avoir l'air de ne la compter pour rien... Toute prévenance contristait son humilité. Un jour, la chère enfant sort navrée d'une dépense où, chaque après-midi, elle allait éplucher des légumes avec ses compagnes de noviciat ; elle me cherche et, m'ayant trouvée, elle me dit, les larmes aux yeux : « Ma chère Mère, de grâce venez mettre le holà à la dépense… Si vous saviez ce qui s'y passe : mes sœurs ont pris l'habitude, depuis quelque temps, de me faire asseoir sur une petite caisse de bois... ce sont à mon égard des prévenances à n'en plus finir... Est-ce que je ne puis pas m'asseoir par terre comme les autres ?… Cela ne peut plus durer... Que suis-je pour qu'on s'occupe ainsi de moi ?... » - « Si vous étiez bien charitable, lui répondis-je, vous vous réjouiriez des mérites qu'acquièrent les autres à exercer la charité envers vous. C'est à cause de la faiblesse de votre jambe qu'on veut vous faire asseoir ainsi et on a raison. Offrez à Dieu la contrariété que vous éprouvez et expérimentez qu'il y a quelquefois plus d'humilité à accepter certaines prévenances qu'à les éviter ». - « Ma Mère, je ferai tout ce que vous voudrez », répondit Germaine Et, redescendant à la dépense, elle ne répondit que par un acquiescement parfait et un charmant sourire aux volontés de ses Soeurs !

À l'arrivée de Germaine au Noviciat, nous lisions la vie de Sylvie et Blanche de Sainte-Colombe, Religieuses de Marie-Réparatrice. Un mot énergique de l'aînée des deux sœurs, Marie de Saint-Rodolphe, souleva tous les enthousiasmes, et, après elle, chacune de nos novices voulait « tuer son moi, saccager sa nature ». Nulle ne devait le faire plus rapidement que Germaine. Onze mois après son entrée, nous l'entendrons redire sur un lit d'agonie : « Qu'il meure, qu'il meure, ce petit bout de moi ! » Si elle souhaitera alors avec tant d'assurance la dissolution de son pauvre corps, brisé et sanctifié par la douleur, c'est que, chaque jour, depuis son entrée au Noviciat, elle avait fait agoniser et mourir en elle le pauvre moi humain : oui, elle avait su admirablement tuer son Moi et saccager sa nature !

Tout ce qui parlait le langage de la mortification et du renoncement allait droit à son âme et réjouissait son cœur.

Nos chères Novices nous ayant demandé un jour en récréation le secret de l'Immolation vraie, nous leur répondîmes le soir même par ces lignes austères :


S'immoler pleinement


S'immoler pleinement, qu'est-ce ? me direz-vous...

Est-ce quitter les siens et leur foyer si doux Disant l'adieu suprême aux choses de ce monde ?

Est-ce laisser tomber sa chevelure blonde

Sur les dalles du cloître... et se voiler de noir ?

Est-ce ne plus rien dire ; est-ce ne plus rien voir ?...

Est-ce chercher l'amour de Jésus plein de charmes.

Priant dans les soupirs et veillant dans les larmes ?

Est-ce donner au Christ, au Dieu qu'on aime tant,

Des perles de sueur et des gouttes de sang ?...

Vivre aux pieds de chacun comme une humble servante

Que nul travail ne lasse et que rien n'épouvante ?...

Est-ce là le martyre imposé par la Loi ?

Non ! S'immoler vraiment : C'est se renoncer soi !!!


Ce mot étrange de renoncement à soi-même avait séduit Germaine… Elle demanda la poésie des Immolées volontaires, l'inscrivit sur son cahier de notes intimes et, se faisant un plaisir de la relire souvent, elle se faisait un véritable bonheur de la mettre en pratique bien plus souvent encore.

En la voyant se vouer de si bon cœur à toutes les petites immolations du Noviciat, nous nous rappelions un mot sublime de sa petite enfance : « Père, avait-elle dit un jour à M. Castang, ce n'est pas si difficile que cela d'aller au Ciel, puisqu'il n'y a qu'à souffrir ! » Heureuse enfant ! Elle avait compris le secret et le bonheur de la grande loi de la souffrance ; elle cueillait chaque jour son bouquet de myrrhe, gerbes de ses silencieux renoncements, et, le soir venu, elle offrait à jésus ce tribut du véritable amour. « Le Noviciat est une fabrique de Crucifix », a dit un pieux auteur. Germaine, au lendemain de ses dix-huit ans, ne comprenait pas autrement sa vie de formation religieuse. Cette fabrique de crucifix ne l'effrayait nullement, et, dans le paisible atelier de son intérieur, elle forgeait son âme aux solides vertus par le marteau de la mortification et le feu du céleste amour... Cet amour divin la dévorait... elle était dans la fournaise et déjà elle appelait de tous ses vœux le jour béni de la prise d'habit... Une de ses compagnes de postulat prit le voile dans le courant de l'été. Germaine lui porta une sainte envie… Il lui tardait tant de déposer le costume des postulantes et de revêtir la bure séraphique... Choisie pour être demoiselle d'honneur de la nouvelle novice, Germaine ne la quitta pas en cette journée toute remplie d'émotions, et apparut comme un ange aux côtés de sa compagne... Écoutons une jeune professe raconter ses impressions personnelles : elles furent celles de la Communauté.

« Le jour de la vêture de sœur Éléonore, Germaine était demoiselle d'honneur. Avec sa robe de mousseline blanche, son voile de Première Communiante et sa couronne de roses, elle était ravissante. je me souviens qu'en me rendant à la messe, je marchais derrière elle, le long des cloîtres qui aboutissent au chœur. Je la considérai avec une sorte de respect mêlé d'attendrissement. Elle avait quelque chose de céleste. Ses mouvements étaient si bien réglés, sa démarche si modeste, son visage si beau, ses yeux si angéliquement baissés... tout son être était si délicieusement drapé dans les chastes plis de son long voile blanc, que je ne pus m'empêcher de penser aux vierges qui, dans le Ciel, suivent l'Agneau divin… Germaine me faisait encore rêver à Marie adolescente, ravissant Dieu et les anges dans le secret du Temple... Enfin, dans le cours de la journée, comme toujours du reste, je ne pouvais jamais la rencontrer, la regarder, lui parler sans penser au Ciel et, comme involontairement, je me disais avec admiration Notre angélique Mère sainte Claire devait être ainsi modeste et recueillie... elle devait prier, travailler, marcher comme Germaine... mais cette enfant est trop céleste... elle ne pourra pas vivre longtemps... Elle est mûre pour le Ciel !! Et bien d'autres sentiments que j'éprouvais à sa vue me faisaient verser des larmes, dans la reconnaissance de ce que Dieu faisait pour elle et dans l'admiration de ce qu'elle faisait pour Dieu... Mais, tout cela, je ne puis l'exprimer ! J'essaie de le résumer en deux mots : Elle me ravissait et m'édifiait toujours : tout était céleste en elle ! » (5).

Il n'y avait pas que les jeunes professes qui se sentaient émues et ravies au passage de Germaine... Les anciennes religieuses éprouvaient la même émotion, le même ravissement et toutes, empruntant un mot de saint François de Sales parlant à la Mère de Chantal d'une des premières religieuses de la Visitation, nous pouvions dire : « Voilà une boiteuse qui marche joliment droit ! »

 

Notes

 

1. Claire était la personne dévouée qui l'avait accompagnée au Monastère le lundi de Pâques.

(2). V. Louis du Pont, S. J., cant. VIII, 8

(3). V. Louis du Pont, cant. VIII, 8.

(4). Le Guide spirituel, chap. V.

(5). Notes intimes.

 


 

 

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