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Marie-Céline de la Présentation
Marie-Céline de la Présentation
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30 octobre 2020

Fleur du Cloître - 16

Chapitre seizième

Les saints vœux

 

Il a imprimé sa marque sur mon visage,

afin que je n'admette pas d'autre amant que Lui...

Et il m'a toute parée. (Sainte Agnès, Vierge et Martyre).

 


Dans le courant de mars, le mal cruel qui minait la douce patiente parut accélérer sa marche... Céline le comprit et elle s'en réjouit : faire ses vœux et aller au ciel, voilà ce qu'elle ne croyait pouvoir payer trop cher... Aussi, que lui importait une aggravation de souffrances ? elle en attendait un redoublement de bonheur... Prévoyant que, bientôt, elle aurait l'immense joie de prononcer ses vœux, elle s'y prépara par quelques jours de retraite, afin de ne pas être surprise quand le moment serait venu de se lier à la croix et de s'y fixer par les vœux de religion. Elle fit donc une petite retraite préparatoire... et son âme en fut dans la jubilation. Pour lui éviter toute fatigue, je restais avec la chère retraitante, je lui lisais les sujets d'oraison et je les lui commentais d'une manière qui était en rapport avec sa situation in extremis.

Combien j'étais émue moi-même de préparer à la Profession religieuse, et presque sur le seuil de l'Éternité, cette âme si pure et si belle !…

Le samedi, 20 mars, avait été particulièrement pour Marie-Céline une journée bénie ; elle avait été comblée de grâces spirituelles et, ressaisie par des désirs d'immortalité impossibles à comprimer, elle avait souhaité avec tant d'ardeur la venue de l'Époux sacré dans les joies de la Profession, que cet Époux divin l'admit dès le lendemain au baiser des Saints Vœux.

À minuit, elle fut prise d'une faiblesse telle que nous la crûmes sur le point d'expirer ; cependant, cette syncope dura peu, mais ce qui nous alarma beaucoup, ce fut l'enflure subite des pieds. Or, le docteur nous avait prévenues que lorsque cette enflure paraîtrait, elle pourrait être un des symptômes de fin prochaine.

Vers une heure du matin, je demandai aux Sœurs qui m'entouraient, de me laisser seule avec la malade et, toutes s'étant retirées, j'annonçai à Marie-Céline qu'elle serait administrée dans la journée. Sa joie éclata !! M'attirant à elle, elle m'embrassa tendrement, puis elle s'écria : « Ô ma chère Mère, que je vous remercie !! Quelle bonne nouvelle vous apportez à mon âme... » Et elle répétait lentement : « Je vais être administrée… ! Je vais faire mes vœux… Je vais mourir... quel bonheur ! »

Et, comme dans une sorte de ravissement, elle exultait en l'amour de ce Dieu vivant qui l'attendait au rivage de l'Éternité... « Le Ciel ! Le Ciel ! » disait-elle en élevant bien haut ses bras défaillants… son visage était radieux... son sourire céleste…

J'avais sous les yeux la réalisation magnifique de ce que la Communauté chantait au chœur à l'office des Laudes :

« Deus, Deus meus, ad te de luce vigilo » (1). Dieu, mon Dieu, vers vous je veille dès l'aurore. Mon âme a soif de vous ; ma chair aussi en combien de manières ! Dans une terre déserte et sans chemin, et sans eau, comme dans votre sanctuaire, je me suis présenté à vous, pour contempler votre puissance et votre gloire. Parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, mes lèvres vous loueront. Oui, je vous bénirai pendant ma vie, et, en votre nom, j'élèverai mes mains. Si je me suis souvenu de vous sur ma couche, dès le matin je méditerai vers vous, parce que vous avez été mon secours. Et je serai transporté de joie à l'ombre de vos ailes ; mon âme s'est attachée à vous, votre droite m'a soutenu…

Ainsi chantait le chœur dans le silence de cette première nuit de printemps... et ainsi chantait Marie-Céline à cette première aurore du 21 mars... Une force extraordinaire me soutenait moi-même et, malgré les flots de douleur qui envahissaient mon âme près de ce lit de souffrances, j'avais encore le courage de répondre aux sourires et aux transports de mon enfant bien-aimée par des hymnes d'allégresse et des chants de triomphe. Il me semblait que ce n'était plus une créature que j'assistais, mais un ange... et, la voyant si près d'ouvrir ses ailes, je lui dis : « Que vous êtes heureuse d'avoir la certitude de mourir bientôt !... Moi aussi je voudrais aller au Ciel et quitter la terre... » Elle me prit les mains et me dit avec calme : « Non, ma Mère, il faut que je parte et que vous restiez ». Nous causâmes longtemps du bonheur de mourir et couvrant le Crucifix de nos baisers, nous lui offrîmes les sacrifices de la séparation.

À deux heures, une Sœur converse entra dans l'infirmerie… Frappée de l'air joyeux de la malade, elle s'arrêta à la contempler au pied de son lit... « Vous ne savez pas la cause de mon grand bonheur ? lui dit Marie-Céline... Aidez-moi à remercier le bon Dieu : je vais être administrée » ; puis se retournant vers moi elle dit encore : « Comment vous remercier de m'apporter de si bonnes nouvelles... Oh ! que je suis heureuse ! »

Le reste de la nuit se passa dans des sentiments d'actions de grâces ininterrompues. Le cœur en haut, la chère novice se préparait à la venue de l'Époux sacré... « Aujourd'hui je serai professe », répétait-elle de temps en temps, puis elle retombait dans le silence de sa préparation intérieure aux grands actes qui allaient s'accomplir pour elle dans cette inoubliable journée du dimanche 21 mars. Malgré le brisement de nos cœurs, il fallait entrer dans les vues de notre chère enfant et faire de ce jour son plus beau jour de fête. Les Sœurs du Noviciat tressèrent des guirlandes et préparèrent des chants. Notre Très Révérende Mère Abbesse voulut que rien ne manquât à la solennité de telles fiançailles et, par son ordre, l'infirmerie fut transformée en salle de fleurs et de verdure. N'allait-elle pas devenir la salle des noces divines et le vestibule du Ciel ?… Marie-Céline assistait souriante à tous ces préparatifs. Notre Très Révérende Mère et moi ne la quittions pas, et tout en surveillant la décoration de ce sanctuaire de joie et de douleur, nous demeurions attentives à tous les sons de céleste amour que rendait cette âme virginale si pure et si belle.

À midi, l'aspect de l'infirmerie était délicieux ; des guirlandes de verdure semée de roses blanches couvraient les murs blancs et, se réunissant à la statue de Notre-Dame de Lourdes, elles formaient comme un dôme au-dessus du lit de la malade placé au milieu de l'appartement, aux pieds de l'Immaculée. En face de la porte, s'élevait un autel garni de draperies blanches et tout émaillé des premières fleurs du printemps ; la statue de l'Enfant Jésus de Prague le dominait : aux pieds du divin Enfant se trouvaient le voile noir, le Crucifix et l'anneau destinés à la nouvelle professe…

Comme on n'avait pas eu le temps de se procurer Crucifix et anneau neufs, j'eus le bonheur d'offrir à ma chère novice mon Crucifix et mon anneau de Profession ; ils me sont aujourd'hui deux joyaux doublement chers... Les yeux de la malade brillaient d'une flamme surnaturelle en contemplant ces objets précieux dont elle allait être parée dans quelques heures... Elle était ravie de ce que notre Très Révérende Mère et moi lui disions du symbolisme de l'anneau, du Crucifix et du voile noir... elle les baisait avec amour. Toutes les religieuses vinrent lui faire une petite visite vers midi et demi… Beaucoup ne pouvaient retenir leurs larmes. « Je vous en prie, mes chères Sœurs, leur dit Céline avec un gracieux sourire, ne pleurez pas, vous troubleriez ma joie... » puis, s'adressant à moi qui rassemblais toutes mes énergies pour ne pas laisser déborder le flot de mes larmes : « Ma Mère, il faut que personne ne pleure, mais qu'on chante et qu'on prie pour que je meure vite ; le plus tôt sera le mieux. Au Ciel j'aimerai davantage le bon Dieu ». - « Vous ne nous oublierez pas là-haut, lui dis-je ! » Elle me regarda d'un air de doux reproche : « Vous oublier… ?? ce serait impossible, répondit-elle, non, je n'oublierai personne... » Voulant envoyer un mot de sa part aux religieuses de Nazareth, je me penchais vers elle et je lui dis : « Que faut-il faire dire aux Sœurs de Marie-Joseph ? » Elle se recueillit un instant, puis elle répondit simplement : « Que je meurs, et que je prie pour elles ! »

Une novice s'approcha de son lit et lui dit : « Vous n'avez jamais eu l'air si heureux qu'aujourd'hui... » elle lui répondit en montrant le ciel, puis elle s'écria : « Le ciel ! Le ciel ! Quel bonheur ! Faire mes vœux et partir !… » Cependant, l'heure solennelle de l'administration et de la profession approchait... M. l'aumônier se trouvant absent de Bordeaux depuis la veille, le Révérend Père Thadée, confesseur de la Communauté, devait le remplacer ; le Révérend Père ayant été délégué par son Éminence le Cardinal Lecot, pour présider cette touchante cérémonie de profession in extremis, il s'y prêta avec son dévouement et sa bonté ordinaires. Du reste, il semblait que c'était à lui que revenait de droit l'honneur de bénir le voile noir de la nouvelle professe et de le lui offrir comme l'austère parure dans laquelle elle devait s'endormir de son dernier sommeil. Le 21 novembre, le saint religieux avait offert Germaine à Jésus comme une présentation en fleurs... Le 21 mars, il présentait Marie-Céline à l'Époux divin comme une présentation en fruits, dans la consommation d'une alliance qu'allaient sceller les saints vœux sur le seuil de l'Éternité…

À deux heures, on annonça l'arrivée du Révérend Père Thadée et du Révérend Père Jacques. Toutes les religieuses se rendirent à la porte de clôture qui s'ouvrit devant Jésus-Hostie…

Le Révérend Père Vicaire entra, portant le saint Ciboire ; avec lui entra également le religieux qui devait l'assister. C'était comme une procession de Fête-Dieu qui s'organisait sous les cloîtres. Nous n'oublierons jamais ce délicieux spectacle. Cette première journée de printemps jetait à travers les arceaux gothiques ses flots de soleil et de parfums. Aux piliers de pierre rosée, le jasmin, les clématites, les rosiers et le chèvrefeuille entrelaçaient leur rameaux vert tendre et semblaient incliner leurs boutons joyeux au passage du Très Saint-Sacrement.

Ces vierges voilées, précédées de la grande croix de bois et récitant les versets du Miserere... les fils de saint François répondant à leur psalmodie... Jésus traversant le cloître ensoleillé et fleuri ; dans les enfoncements de ce cloître, les grandes statues des saints qui étaient les muets témoins de cette procession, et, là-haut, sur le campanile, tout un essaim d'oiseaux dont le gazouillis était une harmonie de plus ajoutée à tant d'autres : tout cela pénétrait le cœur d'une suave émotion et nos yeux se remplissaient de larmes tandis que notre âme était remplie d'amour.

Arrivé à l'infirmerie, le Révérend Père Thadée déposa le saint Ciboire au milieu des fleurs et des cierges de l'autel, puis il resta quelques minutes seul avec la malade. Lorsqu'il l'eut confessée, le Révérend Père Jacques entra, suivi de la Communauté. Marie-Céline ressemblait, sur son lit, à ces saintes de nos églises qui dorment dans leur châsse. Parée de son vêtement monastique qu'elle porta toujours si saintement, voilée de son voile blanc qu'elle allait échanger contre son voile noir, elle reposait souriante et paisible sur son blanc oreiller et tenait pressé sur son cœur un grand Crucifix tout orné de lierre et de fleurs. À ce Crucifix était fixée la formule des saints vœux. C'était le contrat sacré de la céleste alliance.

Au moment de communier, Marie-Céline déposa entre mes mains ce grand Crucifix et reçut le saint Viatique ; puis, tandis que le Révérend Père reportait le saint Ciboire à l'église extérieure, les Sœurs du Noviciat chantèrent le cantique : « Le voici l'Agneau si doux, le vrai Pain des Anges ». C'était la chère malade elle-même qui avait choisi ce cantique (2), sans doute parce qu'il lui rappelait le jour de sa Première Communion.

« Pendant ce chant, dit une de ses compagnes. Sœur Marie-Céline nous ravissait : ses mains jointes sur sa poitrine oppressée, ses yeux fermés, son céleste sourire, son attitude extatique étaient un spectacle bien touchant. Nous étions toutes fort émues... il fallait se faire une violence inouïe pour ne pas éclater en sanglots ». Quand le cantique fut terminé, nous nous mîmes à genoux et nous attendîmes en priant le retour des Révérends Pères. Ils arrivèrent bientôt apportant les saintes Huiles. Avant de commencer la touchante cérémonie, le Révérend Père Thadée adressa ces paroles à la Communauté : « Mes Sœurs, il faut prier pour Sœur Céline et nous unir intérieurement à elle pendant l'administration du Sacrement de l'Extrême-Onction qu'elle va recevoir ».

Alors notre Très Révérende Mère Abbesse se plaça à la droite de la malade ; moi je me tins à sa gauche et j'eus le courage de présenter moi-même les mains et les pieds de notre chère enfant aux onctions saintes. Marie-Céline se prêtait aux cérémonies avec une joie que trahissait son délicieux sourire ; c'était une reine qui se sentait sacrer pour l'éternité. Voyant tant de bonheur, le Révérend Père invita les jeunes Sœurs à chanter un nouveau cantique. Elles entonnèrent un de ceux qui avaient les préférences de leur compagne et dont le premier couplet se terminait par ces paroles de céleste impatience :


« J'attends le ciel pour aimer à mon aise... Ah ! que ne puis-je y voler aussitôt ! »


Lorsque ce chant eut cessé, le Révérend Père prit la parole et commenta ce verset sacré :

« Ô mon Dieu, qui me donnera des ailes comme à la colombe pour voler vers le ciel et me reposer en vous, ô mon Jésus !... » Le Révérend Père y joignit de touchantes réflexions sur les grands vœux qu'allait prononcer l'heureuse novice, puis il termina par ces paroles gracieuses : « Le Monastère, cité sainte nous représente la ville de Jérusalem, cette salle ornée, c'est vraiment le cénacle ! Notre-Seigneur est venu ici en personne ; il est entré dans votre cœur. Dans peu de temps, Dieu se manifestera à votre âme dans la Jérusalem céleste et vous y fera jouir du printemps éternel. Jésus dit maintenant : Ouvrez-vous, portes éternelles, ouvrez-vous toutes grandes ; voici ma vierge qui m'a consacré le printemps de sa vie, qui a renoncé au monde, qui m'a servi dans le Monastère de l'Ave Maria ; j'ai reçu tout l'amour de son jeune cœur. J'ai vu qu'elle était dans la disposition de se consacrer à moi sans réserve par la profession religieuse et je veux la prévenir de mes bienfaits.

Avant qu'elle ait formulé l'acte de son entière oblation. je l'ai comblée de mes divines faveurs. Je suis entré dans son cœur qui est ma demeure choisie ; j'ai dit à mon ministre de lui conférer le sacrement de l'Extrême-Onction et elle l'a reçu entourée de ses Mères et de ses Sœurs qui l'aiment tant... Je vais lui ouvrir mon ciel au printemps de sa vie et, par une belle journée de printemps, je lui offre la couronne des vierges en retour du sacrifice absolu qu'elle me fait d'elle-même ».

Alors commencèrent les touchantes cérémonies de la profession religieuse. Après que Marie-Céline eut reçu le bienfait de l'absolution générale, elle assista ravie à la bénédiction du crucifix, du voile et de l'anneau ; puis, notre Très Révérende Mère Abbesse, s'approcha d'elle tenant en mains la grande croix fleurie, la sainte Règle et la formule des Vœux. Marie-Céline posa ses mains jointes entre celles de son Abbesse et d'une voix claire, distincte, calme et heureuse, elle prononça les quatre grands vœux qui faisaient d'elle une professe de l'Ordre séraphique.

Après l'émission solennelle de ces vœux, la Révérende Mère Abbesse lui répondit : « Et moi de la part de Dieu, et selon son inviolable ordonnance, si vous observez ces choses, je vous promets la vie éternelle ». Toutes les religieuses répondirent : « Amen ».

La Révérende Mère remit alors la sainte Règle à la nouvelle professe qui répondit : « Dominus pars hœreditatis meœ et calicis mei, tu es qui restitues hœreditatem meam mihi ! Le Seigneur est la portion de mon héritage et de mon calice ; c'est vous, Seigneur, qui me rendrez mon héritage !!... »

Selon le cérémonial de l'Ordre, immédiatement après ces paroles, la nouvelle professe baisa respectueusement les mains de sa Mère Abbesse en témoignage de sa reconnaissance et de sa soumission, puis le Révérend Père, prenant le Crucifix de profession, le donna à l'épouse de Jésus crucifié en disant : « Audi, filia et vide et inclina aurem tuam ; obliviscere populum tuum et domum patris tui ; concupiscet rex decorem tuum et desponsabit te in fide ! Écoutez, ma fille, regardez et inclinez votre oreille ; oubliez votre peuple et la maison de votre père. Le roi du ciel sera épris de votre beauté et vous épousera dans la foi !... »

Le Révérend Père prit ensuite l'anneau et le passa au quatrième doigt de la main droite de l'heureuse professe, en disant les paroles liturgiques que le chœur répétait en chantant, pendant que la Révérende Mère achevait de mettre l’anneau bénit : « Annulo fidei suœ subarrhavit te Dominus Jésus Christus ! Le Seigneur Jésus vous donne cet anneau comme gage de la foi que vous lui avez jurée en contractant alliance avec Lui ! »

Enfin, tandis que j'enlevais le voile blanc que Marie-Céline avait porté si peu, mais si bien, le Révérend Père présentait le voile noir et le mettait sur la tête de l'heureuse professe. En même temps que la Très Révérende Mère Abbesse achevait de la voiler, le Révérend Père disait :

« Accipe velamen, filia, quod perferas sine macula ante tribunal Domini Nostri, Jesu Christi, cui flectitur omne genu cœlestium, terrestrium et infernorum in sœcula sœculorum. Amen ! Recevez ce voile, ma fille, et portez-le sans tache au tribunal de Notre Seigneur Jésus-Christ, devant qui tout genou fléchit, au ciel, sur la terre et dans les enfers pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il ! ».

Aussitôt après ces dernières paroles, le chœur entonnait l'antienne triomphale de sainte Agnès :

« Posuit signum in faciem meam ut nullum prœter eum amatorem admittam !! Il a imprimé sa marque sur mon visage, afin que je n'admette pas d'autre amant que Lui !... »

Le Révérend Père acheva la cérémonie en récitant les oraisons prescrites par le rituel. Quand tout fut terminé, il dit à la malade :

« Ma chère Sœur, voilà que vous êtes toute au bon Dieu. Remerciez-Le de toutes les grâces immenses qu'il vous accorde aujourd'hui. Maintenant vous êtes prête, mais vous devez être bien résignée à la volonté de Dieu. S'il voulait votre guérison, il faudrait la vouloir aussi. Vous voulez tout ce que le bon Dieu veut, n'est-ce pas ? » - « Oui, répondit-elle ». - « Je comprends, reprit en souriant le Révérend Père, pourquoi vous dites ce oui de si bon coeur ; c'est parce que vous pensez, et moi aussi, que cette divine volonté sera que vous partiez bientôt ». - « Oui », mon Révérend Père, dit-elle en souriant aussi.

« Si vous ne vous envolez pas cette nuit, reprit le Révérend Père, je reviendrai vous voir demain et régler le nombre de vos communions ». Marie-Céline sourit encore et remercia le Révérend Père. Celui-ci, ayant béni l'assistance, se retira avec son compagnon. Sur le seuil de la porte de clôture, il dit à la Révérende Mère Abbesse : « Redites à Sœur Céline qu'elle est professe, aussi bien professe que sainte Claire ; elle a réellement fait sa profession ; elle en a contracté les obligations, mais aussi elle en a tous les privilèges ».

En sortant du cloître, le Révérend Père eut la bonté de raconter aux Sœurs tourières quelques détails de la touchante cérémonie qu'il venait d'accomplir... « C'est un spectacle unique, dit-il, que nous a donné cette jeune professe radieuse sur son lit de douleurs… Oh ! La belle et touchante cérémonie ! »

Pendant ce temps, les compagnes de Sœur Céline priaient auprès de l'autel et contemplaient leur angélique Soeur ; celle-ci ne voyait rien, n'entendait rien ; elle était dans une sorte de ravissement et, auprès d'elle, on éprouvait quelque chose du Ciel.

Elle était vraiment belle, mais belle d'une beauté surhumaine… Son doux visage si jeune, si virginal, était comme transfiguré et, sous les reflets austères de son grand voile noir, elle était ravissante. Ses yeux fermés ne voyaient plus rien des choses de la terre... ses lèvres conservaient toujours un céleste sourire... sur sa poitrine brillait le Crucifix des vœux... à son doigt scintillait l'anneau des vierges... sur son lit drapé de blanc, reposait encore la grande Croix fleurie à laquelle était restée attachée la charte des vœux séraphiques. En voyant cette vierge toute parée et attendant la venue de l'Époux, dans ce repos qui ressemblait à l'extase, on se rappelait avec émotion ce mot de l'Évangile racontant le sommeil des dix vierges : « Or, comme l'Époux tardait à venir, elles s'assoupirent… et s'endormirent : Moram autem faciente sponso, dormitaverunt et dormierunt… » (3).

Cependant, l'heure n'avait pas encore sonné de l'entrée céleste dans la salle des noces... les vierges du Ciel ne vinrent pas encore à la rencontre de Marie-Céline, mais celles de la terre entourèrent son lit, devenu pour elle le trône de la Croix. Vingt minutes après le départ des Révérends Pères, nous nous approchâmes de Marie-Céline. À un mot de notre Très Révérende Mère, elle ouvrit enfin les yeux. Sa première parole fut un remerciement du cœur à ses deux Mères Abbesse et Maîtresse ; elle leur baisa la main, puis salua d'un sourire chacune de ses compagnes dont plusieurs versaient d'abondantes larmes... « Si vous demandiez votre guérison, maintenant que vous êtes professe, lui dis-je, peut-être obtiendriez-vous un miracle ? » - « Ô Mère, je vous en supplie, répondit-elle, laissez-moi partir... je ne désire que le Ciel, puisque je suis prête, il vaut mieux que je parte le plus tôt possible… » - « Si vous guérissiez, lui dis-je encore, nous recommencerions une nouvelle cérémonie de profession à la fin de votre année de noviciat ! Vous auriez ainsi double fête ! » - « Ma chère Mère, reprit-elle avec un fin sourire, je me contente de celle-ci », et elle ajouta d'un air joyeux : « Puisque le bon Dieu a commencé de me tuer, il faut bien qu'il achève !! »

Nous le sentions, rien ne retiendrait ici-bas cette âme qui avait entrevu le Ciel... et, déjà, elle n'était plus de la terre…

La grande cloche de l'église ayant appelé la Communauté au chœur pour l'office des vêpres, je demeurai seule avec ma nouvelle professe et, à genoux près de son lit, je laissai déborder de mon cœur en son nom les prières d'une triple action de grâces pour la sainte Communion, l'Extrême-Onction et la sainte Profession… Quand j'eus fini, Marie-Céline me dit d'un ton bien convaincu : « Maintenant, il faut que je commence à bien vivre, à être sérieusement une bonne religieuse ». Je ne pus m'empêcher de sourire à telle déclaration... et, intérieurement, j'admirai l'humilité de cette âme qui croyait n'avoir encore rien fait de bien et disait si sincèrement son : « Nunc cœpi... » - « Excitez votre âme à une grande reconnaissance envers Dieu pour tous les bienfaits dont Il vous a comblée aujourd'hui, lui dis-je, et rappelez-vous qu'en fait de pureté, d'humilité, d'obéissance et d'amour, il ne faut jamais dire, c'est assez ! »

Le soir, à 7 heures, nous eûmes encore une bien touchante cérémonie. Toute la Communauté se rendit à l'infirmerie, on illumina l'autel et une Sœur du Noviciat lut, au nom de Sœur Céline, la consécration des nouvelles professes à la Très Sainte Vierge… Ensuite on chanta un cantique admirablement choisi pour la circonstance et dont le refrain était bien le cri d'amour de la nouvelle professe de l’Ave Maria :

J'irai chanter au Ciel : Ave Maria ! Ce cantique éternel : Ave Maria !

Après ce chant, on entonna le Psaume : Ecce quam bonum et quam jucundum habitare fratres in unum. L'humilité de Marie- Céline fut alors soumise à une rude épreuve. Selon l'usage, les religieuses demandèrent à baiser l'anneau de la nouvelle professe… Le premier mouvement de notre humble religieuse fut de retirer sa main ; mais notre Très Révérende Mère lui ayant dit de se prêter aux vouloirs de ses Sœurs, par obéissance, elle livra sa petite main blanche aux baisers de ses compagnes, leur disant ce mot charmant qui était la revanche de sa douce humilité. « Mes Sœurs, vous baisez l'anneau de notre Mère Maîtresse ». Après le baiser de paix.. les religieuses descendirent au chœur en chantant le Magnificat. Ainsi se termina cette journée qui laissa dans toutes les âmes d'impérissables souvenirs.

Notons ici un détail touchant : après le baiser de paix, Marie-Céline, avec sa délicatesse habituelle, voulut me rendre mon anneau de profession... « Ma Mère, me dit-elle, vous ne devez pas rester sans votre anneau, il ne serait pas convenable que je vous en prive ». Notre Très Révérende Mère étant présente, je lui demandai son avis... « Sœur Céline a raison, me dit-elle, reprenez votre anneau de profession, l'Enfant-Jésus lui donnera le sien... » Et notre Très Révérende Mère, se levant, fut prendre au Saint Enfant Jésus de Prague l'anneau d'or qui brillait aux deux doigts réunis de sa main droite : « Tenez, mon enfant, dit notre Révérende Mère en souriant, c'est le divin Enfant Lui-même qui vous offre l'anneau de l'éternelle alliance... » Jusqu'à sa mort, Marie-Céline porta l'anneau de l'Enfant-Jésus... et aujourd'hui, lorsque nous baisons le précieux joyau dont le Divin Bambino est redevenu le possesseur, nous l'appelons : la bague de Jésus-Céline.

Vers neuf heures et demie, avant d'aller prendre quelque repos, je fus dire à Céline un dernier adieu. Après m'avoir saluée, elle éleva les deux bras au Ciel et les yeux en haut, comme s'ils cherchaient l'éternité, elle s'écria : « Le Ciel ! Le Ciel ! Qu'il me tarde d'y aller... Je n'attends plus que le Ciel !... »

Après l'avoir embrassée et contemplée une dernière fois, je me retirai tout émue... « Ô mon Dieu, soupirais-je, en baisant mon Crucifix, vous nous aviez donné cette incomparable enfant : vous allez nous la reprendre : que votre Saint Nom soit béni !!! » Et d'un flot de larmes, trop longtemps contenues, j'arrosai le Fiat de mon âme si cruellement triste et heureuse à la fois…

 

Nota. - L'acte de profession de Sœur Céline a été transcrit, après sa mort, dans le registre de la Communauté, en les termes suivants :


Au nom de la Très Sainte Trinité. Ainsi soit-il.


Sœur Marie-Céline de la Présentation, fille légitime de M. Germain Castang et de dame Marie Lafage ses père et mère, novice de ce Monastère depuis le 21 novembre dernier, étant tombée gravement malade et se trouvant à toute extrémité dans le courant du mois de mars, a eu le bonheur de faire sa profession in extremis le 21 de ce même mois de mars 1897 à 3 heures du soir. La cérémonie a été présidée par le Révérend Père Thadée, Vicaire du couvent des Franciscains et confesseur de notre Communauté, autorisé par son Éminence le cardinal Lecot, archevêque de Bordeaux, à recevoir la chère malade à la sainte profession. Sœur Marie-Céline a prononcé la formule de profession en pleine connaissance et dans toute la joie de son cœur et a fait ses vœux pieusement et librement entre les mains de la Révérende Mère Claire-Isabelle de Saint-François, Abbesse de ce Monastère, en présence du Révérend Père Thadée, du Révérend Père Jacques et de la Communauté congrégée à cet acte.


En foi de quoi nous avons dressé le présent acte au lendemain de la mort de Sœur Marie-Céline et l'avons signé avec les Révérends Pères.


Sœur Claire-Isabelle de Saint-François,
Abbesse.

 

Sœur Marie-Séraphine du Cœur de Jésus, 
vicaire et maîtresse des novices.

 

F. Thadée, M. O.


F. Jacques, M. O.



Sœur Marie-Céline de la Présentation est pieusement décédée hier 30 mai 1897 à 3 heures du matin.

Elle a porté toute blanche aux pieds du Souverain Juge la robe de baptême de sa profession religieuse.

Fait au Monastère de
l’Ave-Maria de Bordeaux. — Talence, ce 31 mai 1897.

 

Notes

 

(1). Ps. LXII.

(2). Le matin, pressée par les novices de leur dire quel cantique elle voulait qu'on lui chantât après sa Communion en Viatique, elle avait humblement demandé ce cantique de Première Communion dont elle voulait faire ainsi celui des deux plus beaux jours de sa vie.

(3). Matth., ch. XXV.

 


 

 

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Chapitre 17e

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