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Marie-Céline de la Présentation
Marie-Céline de la Présentation
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30 octobre 2020

Fleur du Cloître - 15

Chapitre quinzième

Combat et triomphe

 

« Bénissez le Seigneur au milieu des assemblées, vous qui êtes de la race d'Israël. Là, se trouve Benjamin encore adolescent, mais pourtant admirablement courageux ». (Ps. LXVII, 27).


Le jour de l'Epiphanie, notre douce malade avait quitté sa petite cellule, la cellule rangée par les anges, disait-on à son insu, et elle s'était transportée dans une pièce voisine située au bout d'un grand corridor, beaucoup plus grande qu'une cellule ordinaire et fort aérée. Là, nous. avions tout organisé pour adoucir un peu ses souffrances et favoriser ses goûts de solitude, de piété et de silence.

Qu'on se représente une chambre avec deux fenêtres donnant sur le jardin cloîtré, une cellule aux quatre murs tout blancs... dans un angle, une petite cheminée ; dans le fond, la blanche statue de Notre-Dame de Lourdes et, aux pieds de l'Immaculée, le petit lit de fer de Marie-Céline... Une table et une petite armoire de bois grossier, une chaise de paille et trois escabeaux complétaient l'ameublement de cette petite infirmerie. Un bénitier, un Crucifix et deux ou trois images de papier en étaient l'ornement... Ajoutons que, de l'Épiphanie à la Purification, une charmante représentation de la grotte de Bethléem y charma les regards de la douce contemplative. L'Enfant-Jésus était là sous les yeux ravis de Marie-Céline, couché sur sa gerbe de paille, abrité sous un toit de chaume et de mousse, et tendant à sa petite fiancée ses deux bras divins…

Que de scènes délicieuses nous aurions à reproduire ici !

Un jour, j'entrai à l'infirmerie et je trouvai ma pieuse novice assise sur un petit banc et berçant sur ses genoux l'Enfant-Jésus enveloppé de langes... elle le caressait, elle le contemplait et lui disait de ravissantes choses... Le tableau était plus du ciel que de la terre. Marie-Céline était si virginale, tout enveloppée dans les plis de son grand voile blanc, qu'elle ressemblait à une vision céleste... Je pensai à la Vierge Marie lorsqu'elle tenait entre ses bras le divin nouveau-né... M'apercevant, elle m'attira doucement à elle... « Ma Mère, me dit-elle avec un sourire gracieux, toujours on me dit que je suis pâle : voulez-vous que je commence une neuvaine à l'Enfant-Jésus pour qu'Il fasse ma joue rose ? » Et de son petit doigt, elle me montrait les joues rosées de l'Enfant-Jésus me faisant comprendre qu'elle désirait emprunter aux joues du divin Bambino leur coloris charmant, afin de ne plus nous attrister par la pâleur des siennes… Inutile de dire que non seulement j'approuvai la neuvaine aux joues de l'Enfant-Jésus, mais que je la fis moi-même du meilleur de mon cœur... mais, hélas ! Céline garda sa pâleur de lys...

D'autres fois, l'Enfant-Jésus demeurait dans la crèche et, en face de Lui, Marie-Céline se laissait aller à une amoureuse contemplation… Toute recueillie en elle-même, elle cherchait et voyait dans son cœur le véritable Enfant-Dieu... oh ! Alors quel recueillement, quelle oraison ! Marie-Céline baissait son voile comme pour mettre une barrière entre elle et le créé : le Créateur seul l'occupait et la vue des meilleures choses lui devenait importune. « Un soir, raconte dans son journal Sœur N..., à la date de fin janvier, j'entrai à l'infirmerie pour faire une petite visite à notre bien-aimée Sœur ; je la trouvai plongée dans la contemplation et comme en extase… Immobile, le voile baissé, les mains jointes, elle ressemblait à un ange adorateur en face de la Crèche. Comme il me semblait que ce voile complètement baissé sur le visage devait beaucoup la fatiguer, étant donné son état de souffrance habituelle, je m'approchai d'elle et je lui dis tout bas : « Chère Sœur Céline, vous pourriez bien relever votre voile : vous êtes seule, personne ne vous distrait ici... et ainsi vous pourriez voir le cher Enfant-Jésus qui vous sourit et vous tend les bras ». - « Je sais bien, me répondit-elle, que je suis parfaitement libre de relever mon voile, mais, voyez-vous, si je le relève, je risque de regarder tout cela… » et de sa main, elle me désignait les anges de la crèche, les bergers, les petits agneaux… « Tout ça me distrairait et, pour le moment, gênerait mon oraison… » Je compris qu'elle voulait Jésus seul... et je me retirai promptement, craignant de lui causer encore plus de distractions que n'auraient pu lui en donner les anges et les agneaux... Et la chère contemplative continua ses colloques avec son doux Jésus, supportant la fatigue d'avoir le visage entièrement voilé pour goûter la joie de parler à son Dieu sans aucune distraction ».

Marie-Céline en arriva bientôt à ne plus penser qu'à « Celui que chérissait son âme ». Survenait-il une distraction, elle se la reprochait et trouvait cela surprenant. Un soir, veillant à l'infirmerie, elle m'appela près de son lit : « Ma Mère, me dit-elle, c'est incroyable ce que j'ai été distraite aujourd'hui... Quand je voulais penser à mon Dieu, j'avais des distractions... » - « Quelles peuvent bien être ces fameuses distractions ? » repris-je en souriant. - Eh bien ! « Je pense au feu qui brille en face de moi dans la cheminée », me répondit-elle avec une angélique simplicité !!... Voilà les distractions que se reprochait Marie-Céline. Le démon, jaloux d'une telle perfection, fit éclater sa rage.

Une nuit, tandis que toute la Communauté était à Matines, hormis Céline qui n'y allait plus depuis longtemps, le monstre infernal vint l'épouvanter... Alors, on ne veillait pas encore la malade, qui passait des nuits assez tranquilles, mais on allait la voir avant et après Matines. En remontant du chœur, une Sœur converse fut comme d'habitude lui proposer ses services. - « Je n'ai besoin que de votre présence, lui dit-elle, veuillez rester avec moi une demi-heure. J'ai peur ! » Très étonnée, la Sœur converse demeura près de Céline dont l'émotion paraissait très vive... Mais, peu à peu, elle se calma et congédia la Sœur. Le lendemain, elle nous raconta ses frayeurs nocturnes. « Vous avez rêvé, ma pauvre enfant, lui dis-je en riant. — Oh ! non, ma chère Mère, je n'ai pas rêvé, ce n'était que trop vrai !! »

Je demeurai fort intriguée, car je connaissais le caractère de Marie-Céline : elle était si calme dans ses assertions et ignorait la moindre exagération... chez elle tout était vrai ! Il n'y avait jamais eu le moindre écart d'imagination.

Le soir, je lui proposai de faire coucher quelqu'un à l'infirmerie. « Oh ! Non, me dit-elle, espérons que cette nuit sera calme... » Elle le fut, en effet, mais quelques jours après le démon revint à la charge, toujours pendant Matines, et Céline crut s'évanouir de frayeur en entendant son tapage. Le lendemain, me rendant compte de sa nuit terrible, elle versa des larmes de terreur... « Eh bien ! Lui dis-je, il faut accepter qu'une de nos sœurs vous garde pendant Matines ». Cette fois, elle ne le refusa point et notre Très Révérende Mère Abbesse désigna une Sœur pour veiller la nuit suivante. Le démon revint à nouveau et fut entendu par Céline et sa compagne.

Mais c'est en vain que le monstre lance sur les amis de Dieu un fleuve de tribulations. Il ne s'assoupira ni ne dormira, celui qui garde Israël (1) et ce que Dieu garde est bien gardé ! Marie-Céline se jeta confiante dans les bras de son Crucifix et là, dans ce lieu de repos, elle pouvait dire avec job : Je mourrai dans mon petit nid, et j'y multiplierai mes jours comme le palmier, et elle pouvait ajouter selon une belle interprétation : « Mon nid, c'est l'Église catholique dans laquelle j'ai le bonheur de vivre, la religion que je professe, le genre de vie que je mène, la Croix du Christ, mon Seigneur et mon modèle. Dans ce nid je veux vivre et mourir ; et ni les tribulations, ni les tentations ne pourront m'en arracher. Là je multiplierai mes jours comme le palmier, jusqu'à ce que je remporte la victoire et qu'on m'en donne comme témoignage la palme et la couronne » (2). Marie-Céline demeura très calme dans cette nouvelle épreuve. Du reste, elle fut rassurée et consolée non seulement par son directeur, mais encore par notre vénéré Cardinal.

Deux fois en huit jours, son Éminence daigna venir nous bénir et encourager. L'intéressante malade fut particulièrement l'objet de la sollicitude paternelle du prince de l'Église. Malgré ses innombrables occupations et préoccupations, Monseigneur le Cardinal a bien voulu demeurer toujours notre Supérieur immédiat, privilège bien grand, faveur inestimable dont nous ne saurions trop apprécier l'honneur et le bienfait… C'était donc à titre de Pasteur, de Père, de Supérieur que Monseigneur daigna venir plusieurs fois bénir et encourager « notre Benjamine encore adolescente, mais pourtant admirablement courageuse ». La bonté paternelle de son Éminence toucha profondément la chère malade. Nous n'étions pas moins émues qu'elle de voir rayonner sur son pauvre lit de Clarisse la pourpre cardinalice et le sourire plein de bienveillance de l'auguste Pontife. Marie-Céline puisa dans les entretiens dont daigna l'honorer un prince de l'Église, une force nouvelle pour souffrir et lutter contre Satan lui-même... mais qui dira les tressaillements de son âme lorsqu'un jour, sortant de l'infirmerie, Monseigneur le Cardinal l'autorisa à faire sa profession in extremis, dès que le Révérend Père confesseur et la Très Révérende Mère Abbesse le jugeraient opportun... Notre malade en éprouva une telle joie que ses joues si pâles se colorèrent de bonheur et l'allégresse de son âme s'exprima dans un céleste sourire. « Oh ! Merci, Éminence », s'écria-t-elle joyeuse... et, depuis ce moment, elle se prépara à prononcer les quatre grands vœux de l'Ordre, hâtant de ses désirs la dissolution de son corps. Mourir professe ! N'était-ce pas ce qu'elle avait toujours souhaité ?…

Cependant, le danger de mort ne paraissant pas imminent, Marie-Céline continua quelque temps encore son petit train de vie ordinaire : elle se levait pour la Sainte Messe, communiait à la grille du chœur, puis elle revenait à la salle du Noviciat, où, dans sa chaise-longue, elle assistait aux exercices de la matinée, à la récréation et à la lecture spirituelle. Vers trois heures de l'après-midi, une de nos chères Sœurs converses, douée d'une force extraordinaire, prenait la chère languissante dans ses bras et la portait dans son lit ; mais les jours où elle était plus fatiguée, elle ne se levait pas du tout et alors Mères et Sœurs se succédaient auprès de son lit de souffrances pour charmer son isolement et s'édifier de sa patience.

Le lit et la chaise-longue de Marie-Céline étaient devenues deux chaires d'où, sans parler, elle prêchait la doctrine de la sainteté. Elle portait sur son visage le reflet de sa pureté angélique et de sa paix céleste. Elle ne sortait presque plus de son recueillement : on devinait que déjà l'âme habitait le Ciel : sa conversation était avec les anges et avec l'Époux divin qu'elle appelait de toutes les forces de son âme... Fidèle jusqu'à la fin aux moindres prescriptions du cérémonial de l'Ordre et des ordonnances de la règle, on la voyait ne se dispenser d'aucune pratique compatible avec ses faibles forces.

Pendant les prières faites à la salle de Communauté ou au Noviciat, on pouvait la voir, malgré sa faiblesse, joindre les mains de la façon prescrite et donner des exemples de ferveur et de modestie qui ne s'oublieront jamais... Elle n'omettait pas une seule des inclinations et des petits saluts ordonnés par le Directoire, et on peut dire qu'elle n'a jamais perdu un seul mot des lectures et des conférences faites au Noviciat ou en Communauté. Elle en était avide et, même après avoir été administrée, elle demandait en grâce qu'on la portât au milieu des novices, afin de partager avec elles ce qu'elles appelaient « le festin de leurs exercices », et elle s'y nourrissait comme elles du pain de l'humilité et des fruits de l'obéissance. De sa petite voix de plus en plus affaiblie, elle trouvait encore le moyen de s'humilier avec une incroyable énergie... « Je n'ai point de vertu, me disait-elle quelquefois, oh ! comme on me fait souffrir lorsqu'on a l'air de croire que j'en ai ».

Un jour, deux Sœurs la portaient de l'infirmerie au Noviciat ; elles l'eurent à peine déposée à terre que Marie-Céline, emportée par l'ardeur de son humilité, se prosterna au milieu de ses Sœurs et, la face contre terre, elle s'accusa tout haut d'avoir manqué de charité et de politesse envers une infirmière. L'infirmière présente se récria : « Je vous en supplie, ma Mère, éclaircissez l'affaire, me dit-elle, car notre chère Sœur Céline se calomnie ». Pressée de s'expliquer, l'humble novice déclara qu'elle n'avait répondu que par un signe à une demande de sa compagne. « Or, ajouta Marie-Céline, à ce moment-là, ce n'était ni charitable, ni poli, mais je souffrais et je n'ai pas eu le courage de le prendre sur moi... » Voilà les manquements à la charité que cette parfaite religieuse se reprochait la face contre terre en se déclarant la dernière de toutes, la plus misérable des servantes du Seigneur.

Il faudrait avoir vu Marie-Céline, il faudrait l'avoir entendue pour se faire une juste idée de l'effet que produisait en Communauté la présence de cette incomparable vierge, douce et humble... La plume ne peut servir de pinceau pour rendre ses larmes de componction, son attitude, humble, abaissée, anéantie, son sourire angélique, son regard si limpide et si beau, et le calme, la modestie virginale dont s'enveloppait tout son être... Sa physionomie physique reflétait sa physionomie morale : c'était un type de vierge et d'orante tel que nous en avions parfois rêvé, mais tel que nous n'en avions jamais vu.

Lorsqu'on lui eut interdit tout travail à cause de son extrême faiblesse, nous la voyions demeurer des heures entières étendue, immobile dans une chaise-longue, les mains jointes, pressant contre son cœur le Crucifix auquel était vouée sa vie, les yeux baissés et le sourire sur les lèvres... On ne la laissait jamais seule ; toujours une de nous demeurait à ses côtés, mais si ce n'était notre Très Révérende Mère Abbesse ou sa Mère Maîtresse, elle ne parlait que fort peu. Avec ses deux Mères, au contraire, elle laissait ouvrir son âme et déborder son cœur... nous causions du Ciel, des joies de l'amour divin et des amabilités infinies du Cœur de Jésus...

Derrière la muraille de ce pauvre corps défaillant, nous apercevions l'âme immortelle, toute parée d'extraordinaires vertus et prête à s'élancer vers l'Immortalité. Depuis longtemps déjà on prévoyait que Céline serait un jour bien puissante sur le Cœur de Notre-Seigneur et chacune la chargeait de ses commissions pour le Ciel. Une telle confiance ne devait pas être trompée. Anticipant sur les jours qui suivirent son doux trépas, citons ici un fragment de lettre d'une amie et bienfaitrice du Monastère, à laquelle il avait été accordé de voir Sœur Céline à la grille du chœur vers la fin janvier :

« Oh ! c'est vrai, je n'oublierai jamais ce que je ressentis lorsque j'eus le bonheur d'entrevoir à la grille cette idéale enfant de dix-huit ans. Je revois encore par la pensée ce corps frêle, que la fièvre secouait déjà comme une fleurette qu'un vent cruel arrache prématurément de sa tige. Dans ses beaux yeux candides (miroir de l'âme, ainsi que l'a dit le poète), il y avait comme un reflet du ciel, tant d'innocence, de confiance heureuse, que je restai saisie, émue, en pensant que bientôt cet angélique regard plongerait dans l'Éternité, et contemplerait face à face ce Dieu qu'elle avait désiré pour son unique partage... Et tel est l'attrait de la vertu sur les cœurs qu'en la voyant j'enviai son bonheur !... mourir bientôt sur le Cœur de Jésus, de même qu'en cet instant, profondément attendrie, je la voyais souriante et heureuse s'appuyer sur le cœur de ses Mères très aimées, recueillant tendrement leurs sourires, leurs caresses, tel un petit oiseau confiant se blottit dans le nid sous l'aile maternelle !

Dans le fond de mon âme, je lui disais déjà : Petite sœur Céline vous si pure et si belle devant Dieu, souvenez-vous de vos pauvres amis de la terre lorsque vous paraîtrez devant Dieu…

Quand j'ai appris sa mort, hélas ! pourtant prévue, j'ai senti mon cœur se briser ! C'est que j'avais tant espéré un instant que la Vierge de Lourdes conserverait à sa pieuse Communauté la délicieuse petite sainte ! Mais Marie elle-même, voyant un si beau lys, avait voulu, en terminant le mois qui lui était consacré, le cueillir de sa main divine pour en fleurir les célestes parvis et embaumer de son parfum le jardin de l'Époux. Âme de notre petite envolée, refleurissez là-haut. Nous pleurons de vous avoir perdue, mais nous bénissons le Sauveur qui sitôt vous a donné le ciel auquel vous aspiriez, pour vous récompenser de votre foi et de votre ardent amour.

Depuis que Sœur Céline n'est plus, que de grâces déjà obtenues, grâces pour lesquelles sa tendre charité nous avait si délicieusement promis de se faire notre avocate quand elle paraîtrait devant Dieu.

Aussi, aux larmes répandues depuis que nous est parvenue la douloureuse nouvelle de sa mort, se mêle de ma part tout un flot de reconnaissance envers elle !... Et déjà, éprouvant l'influence de son intercession auprès du divin Maître, je la prie chaque jour pleine de confiance et sûre d'être exaucée ».

La généreuse bienfaitrice que Céline aima tant sur terre et continue d'aimer là-haut, elle le prouve, avait fait vœu d'accomplir le pèlerinage de Lourdes, si la Vierge Immaculée avait bien voulu guérir notre enfant ; mais la Vierge de Massabielle, ainsi que le dit Mme N., avait préféré cueillir un lys de mai à l'Ave Maria et ce fut ainsi que, malgré nos larmes, malgré nos prières, malgré les promesses de nos meilleurs amis, Marie-Céline ne guérit pas... Du reste, elle en eût été désolée... Un jour qu'on parla de commencer une neuvaine ardente pour sa guérison, elle fondit en larmes et, d'une voix entrecoupée de sanglots, elle s'écria : « Si vous vous y mettez toutes, vous êtes dans le cas de me guérir avec tant de prières !... » Et elle pleurait amèrement…

« Ma chère enfant, lui dis-je, il serait plus parfait de vous établir dans la sainte indifférence et de ne souhaiter ni de vivre ni de mourir, mais seulement de faire la volonté de Dieu ! » - « Eh bien ! Oui, reprit-elle, je veux bien ce que Dieu veut... mais, s'il me faisait choisir, oh ! laissez-moi demander le ciel ! »

« Vous supposez bien puissantes les prières de vos Sœurs, lui dit notre Très Révérende Mère Abbesse, pour croire qu'elles vont d'emblée, obtenir votre guérison ?... » - « Si elles s'y mettent toutes, répondit-elle avec une délicieuse simplicité, j'ai bien peur qu'elles finissent par l'obtenir ».

La plus grande souffrance de Marie-Céline était donc de se résigner à vivre... Elle eût voulu le Ciel le plus tôt possible... Ses ailes ne demandaient qu'à s'ouvrir... elle semblait ne plus toucher à la terre…

La dernière fois qu'elle inscrivit quelques pensées dans son journal, voici ce que son cœur lui dicta :

« Ma plume tremble en écrivant ces quelques mots... Mon Jésus m'éprouve bien en m'envoyant la souffrance… J'ai résolu que je serai une violette d'humilité, une rose de charité, un lys de pureté : pour Jésus... »

Ici la chère enfant dut s'arrêter, la plume tombait de ses mains tremblantes : mais le dernier mot écrit dans ses notes intimes resta celui de jésus... Remarque touchante ! La dernière résolution écrite de Marie-Céline est de devenir violette, rose et lys... or, ainsi que nous le dirons plus tard, c'est comme une pluie de parfums célestes qui tombera bientôt sur le Monastère et ailleurs, et on verra quelle mystérieuse liaison avaient ces parfums miraculeux avec celle qui embaumait le cloître de tant de vertus…

Marie-Céline n'avait pas perdu de temps, on le voit, dans l'œuvre de sa sanctification... et elle était bien digne de se lier à son divin Maître par des vœux éternels ! À l'aurore de son noviciat, elle m'avait demandé d'écrire quatre lignes sur son journal et j'avais tracé ce qui suit :

« Ma petite Sœur Céline se souviendra toujours de ses résolutions de prise d'habit et ne perdra pas de temps dans l'œuvre de sa perfection. Il faut devenir sainte à tout prix ! »

Mes conseils avaient été suivis à la lettre et Marie-Céline n'avait pas perdu une minute du temps que Dieu lui avait donné pour aimer, pour souffrir, pour s'humilier, pour combattre et pour obéir. Alors même que, couchée sur un lit de douleurs, elle paraissait inactive, qui dira le merveilleux ouvrage que la grâce accomplissait en elle ! Non, elle ne s'arrêtait point dans son travail de perfection... Nous conservons une petite page imprimée que cette humble parfaite gardait précieusement dans son livre d'office de la Très Sainte Vierge, et dont les pensées allaient délicieusement à son cœur. Nous la citons ici : elle est le meilleur résumé de la vie de Marie-Céline :

« Je me tiendrai devant vous, ô mon Dieu, comme une bête de charge... et vous ne me rejetterez point, parce que vous êtes miséricorde. Dieu aime les humbles ; il arrête sur eux ses regards.

je veux aller au Ciel par le chemin battu, qui n'attire ni l'admiration, ni l'étonnement, ni l'envie, ni les regards de qui que ce soit sur terre... je marcherai par cette voie, sans me détourner ni à droite ni à gauche, me laissant pousser, frapper, guider sans m'abattre, sans me laisser déconcerter par la fatigue, par le travail, par le poids du jour et de la chaleur, allant droit à mon but, et remplissant pas à pas, de moment en moment, tous les desseins du Seigneur, jusqu'au jour mille fois heureux où j'irai me reposer et me délasser dans son sein pour l'Éternité ».

Tandis que Marie-Céline avançait vers l'Éternité par le chemin battu de la vie séraphique où tant de fils et de filles de saint François l'avaient précédée, au sein des montagnes de l'Ardèche, Marie de Saint-Germain soupirait le fiat de la résignation et en envoyait l'écho jusqu'à l'Ave Maria.

Terminons ce chapitre par la citation de sa lettre du 19 février :

 

J. M. J. - Privas, 19 février 1897.


Ma très chère et bien-aimée Marie-Céline de la Présentation


« Je n'ignore plus à cette heure le vrai motif de ton silence : tu es très malade et je ne te croyais qu'un peu souffrante... Pourquoi donc, ma chère petite sœur, user de cette réserve envers moi ? Oh ! je le devine aisément ; la crainte de me causer du chagrin t'a retenue ; en ceci encore, je reconnais ton excellent cœur. Mais, va, dis-moi bien tout : je préfère souffrir avec toi que de vivre calme et tranquille, tandis que ma sœurette est ainsi éprouvée et malade. Et vraiment, ma chère Céline, j'estime que ton divin Fiancé t'aime beaucoup, puisque presque aussitôt après vos fiançailles il te fait don des plus beaux joyaux dont il pare ses plus fidèles épouses.

Fiat voluntas tua, n'est-ce pas ? Ma bien-aimée sœur, tu le dis avec moi, je le dis avec toi, mais peut-être avec moins d'abandon à la divine Providence, car la pensée que ma bien-aimée Germaine est souffrante me rend bien triste. Mais encore une fois : « Mon Dieu, que votre sainte et adorable volonté soit faite ». Nous sommes la chose de Dieu et par droit de création et par droit de rédemption ; libre à lui de faire ce qui Lui plaît de sa chétive créature sans qu'elle ait la liberté de se plaindre. Donc, ma chère sœur Céline, de ton côté et du mien, parfait abandon à la volonté de Dieu : il ne nous afflige d'ailleurs que pour avoir à nous récompenser. J'aime à croire, cependant, que ma lettre va te trouver mieux que la précédente, car je n'ai cessé de prier et de faire prier pour ton prompt rétablissement, et le bon Dieu se plaît à exaucer ces prières d'enfants, si simples et si candides.

Oh ! ma chérie, que tu es donc heureuse ! que ton sort excite mon envie et ma reconnaissance envers Dieu, premier Auteur de ton bonheur ! Que de grâces et de grâces sans prix ! Je ne m'étonne pas qu'en échange, Jésus te donne un peu de sa Croix ; tu serais trop heureuse ! Il veut modérer les élans de ta joie, épurer, ce qui, en toi, ne serait pas parfaitement à Lui. Bénissons-le donc de tout et en tout.

Quant à votre Très Révérende Mère Abbesse, remercie-la, mais avec effusion, de sa bonne lettre si pleine de sentiments pieux, si pleine de cœur, je ne trouve pas d'expression assez forte pour lui dire ma gratitude pour les soins dont tu es l'objet de sa part et de la part de ta Mère Maîtresse. Je prie aussi ma sœur Claire de vouloir bien agréer mes bien sincères remerciements pour les quelques lignes qu'elle m'a écrites en ton nom ; je suis persuadée qu'elle sera heureuse de se constituer ta secrétaire lorsque tu voudras encore me donner de tes nouvelles, ce qui, je l'espère, ne tardera pas : tu devines mon impatience. Quelques lignes de ta main me feraient grand plaisir, mais si tu ne le peux ne t'en inquiète pas, volontiers je ferai à Dieu le sacrifice de cette satisfaction naturelle.

J'ai reçu depuis peu des nouvelles de nos chers grands-parents ; ils se portent assez bien malgré leur âge avancé ; ils prient pour nous et ils nous aiment toujours. Lubine et Lucia ne t'oublient pas non plus devant le bon Dieu et t'embrassent bien fort. je te l'ai peut-être déjà dit, Lubine se prépare à faire, dans quelques mois, sa Première Communion ; elle aussi a besoin du secours du Ciel pour se disposer dignement à ce grand acte.

À Dieu, ma bien-aimée sœur, en Lui et en son amour, je t'embrasse bien fort et me dis toujours,

Ton affectionnée :

Sœur Marie de Saint Germain »


On le voit, le même fiat réunissait les deux sœurs dans l'abandon parfait à tous les vouloirs divins... Toutes deux comprenaient qu'il n'y a de paix et de consolation que dans l'acquiescement complet à la volonté de Dieu : Fiat ! Jésus a dit ce mot par amour pour nous redisons-le par amour pour Lui...

 

Notes

 

(1). Ps. CXX, 4.

(2). Le Guide spirituel du V. L. du Pont, S. J.

 


 

 

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